Azeroth Adventurers' Chronicles
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 Reveli - Trouble

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Lil
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Lil


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Reveli - Trouble Empty
MessageSujet: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:12

I- Le Réveil

« Tous ceux qui errent ne sont pas perdus. » Prophète Velen


J’étais étendue sur le sol. Une surface irrégulière, bosselée, mais elle ne me procurait aucun inconfort. En revanche, le choc immense que je ressentais coupait toute respiration, phagocytait tous mes sens. J’étais un non-être, un trou noir, un corps dépourvu de matière, une âme tailladée ; je ne pouvais même pas chercher à comprendre, tant cette secousse était violente. Elle maintenait mon corps, quel qu’il puisse être, immobile, et mon âme, quelle qu’elle puisse être, ligotée.
Un son, près de moi, me tira légèrement de ces considérations. C’était un hurlement, réalisai-je. Quelque part, j’étais admirative ; moi, je ne pouvais même pas songer à entrouvrir les lèvres. Sans savoir pourquoi, je tournai légèrement la tête sur le côté. Je voulais savoir qui avait poussé ce cri horrible, l’aider. Le temps de réaliser que c’était un instinct stupide, vu que je ne pouvais pas bouger d’un millimètre, je sombrai complètement.

-Reveli.
Le mot pénétra dans ma conscience, mais j’étais incapable de me souvenir de ce qu’il fallait faire pour parler, pour répondre.
-Reveli, c’est ça ? reprit la voix. Relevez-vous.
La voix était masculine, sèche. J’aurais voulu lui obéir, mais c’était impossible.
-Reveli, dit une autre voix. Relève-toi, ma sœur.
Cette voix-ci était aussi indéniablement masculine, mais avec un timbre métallique familier. Pour elle, je trouvai où étaient mes yeux, et les ouvris.
J’étais toujours au sol, réalisai-je en voyant une douzaine de visages au-dessus de moi en contre-plongée. La première personne à avoir parlé était sur ma gauche. Un humain, vêtu d’une cuirasse militaire, accompagné d’une dizaine d’autres hommes.
La plupart des autres visages m’étaient terriblement familiers. J’identifiai la deuxième personne à avoir parlé, un homme. Mak’tor. Il plia les genoux, glissa ses bras cuirassés sous mon dos et me releva sans ménagement. Je perçus à temps mes muscles et me mis sur mes sabots sans vaciller. Je m’ordonnai de tenir bon, le temps de comprendre.
-Vous avez subi le contrecoup, m’expliqua le militaire avec cette même voix sèche. Nous ne l’avons compris qu’après que vous ayez décimé les deux tiers de mes hommes et que vous vous soyez tous écroulés en même temps.
-C’est tout de même un bon signe, chef, intervint un soldat derrière lui. Le contrôle du Roi-Liche se relâche, et…
Le militaire leva une main gantée, le faisant taire. Mais les mots du soldat s’enfonçaient dans mon crâne, le martyrisant malgré mes tentatives pour ne pas penser. « Roi-Liche ».
-Qui est votre chef ? demanda l’homme.
-Personne, lâcha Mak’tor. Nous sommes tous frères.
L’autre soupira.
-C’est la troisième fois que ce genre d’incident arrive, dit-il plus doucement. Des Chevaliers de la Mort échappent enfin au contrôle du Roi-Liche… Dans quelques jours, le Généralissime Fordring sera présent à la chapelle de l’Espoir de la Lumière, et peut-être battrons-nous enfin…
-Sommes-nous alliés ? interrogea brusquement un de mes compagnons.
L’autre grogna, hésitant.
-Nous sommes morts en nous battant contre celui qui nous a contrôlés et torturés, rappela la personne derrière moi. Nous avons récupéré notre libre-arbitre – nous ne demandons qu’à nous dresser contre Arthas !
L’explosion dans sa voix créa un grondement d’approbation dans le rang des Chevaliers, et un murmure chez les soldats. La tension était flagrante, mais sembla redescendre un peu lorsqu’un autre homme fit son apparition, monté sur un cheval de bataille. Ses cheveux bruns se tordaient sous le vent léger, et il descendit de sa monture pour s’avancer vers nous.
-Anciens champions, gardez le calme qu’il vous reste, gronda sa voix profonde. Vous, avec moi.
Il avait désigné le militaire, avec qui il s’isola pour parler. Le silence était absolu. Le silence était partout, couvrant les cris d’angoisse des oiseaux nous survolant, le froissement des capes, enterrant ma voix et mon cri intérieur sous une pierre tombale de plusieurs tonnes.
Pour reprendre contenance, je regardai Mak’tor, qui fixait les deux militaires plus loin. Sa chevelure noire coupée court durcissait encore la ligne parfaite de sa mâchoire, enfonçait ses yeux bleu runique dans ses orbites. Mon regard se posa sur une gnome relativement grande pour sa race, Shalé, qui soupira, ficha son épée dans le sol et s’appuya dessus. Contempler mes compagnons me rappelait un mode de vie qui prenait de nouveau possession de ma mémoire.

-Ça s’est bien passé avec les nouveau initiés ce matin, Reveli ? m’interrogea Shalé en prenant place autour de l’immense table de bois.
-Plutôt, oui, souris-je en passant ma main sur l’ornementation d’un de mes tentacules. Quelques-uns ont rapidement compris comment faire corps avec leur arme. On devrait pouvoir mener une bataille avec eux dans peu de temps.
-Tant mieux, dit abruptement Mak’tor en se penchant sur le parchemin devant moi. Parce que s’ils obéissent aussi bien que ceux de la dernière fois, on assouvira notre Faim plus tôt que prévu.
-Thassarian prendra le commandement du bataillon, rappela Elvyr qui arrivait avec Galeo en nous saluant. Tout ira bien, pour la gloire du Roi-Liche !
-Pour la gloire du Roi-Liche ! répétai-je machinalement en étudiant de nouveau notre plan.
-Reveli sera là, de toute façon, renchérit le réprouvé en face de moi. On peut compter sur elle pour remotiver ses troupes.
Il m’adressa un clin d’œil avant de poser son arme sur la table pour la polir soigneusement. Je lui rendis un sourire. Il avait raison, c’était mon rôle, celui que je tenais parfaitement. Encourager, soutenir… Thassarian disait que j’étais un avantage, Mograine affirmait que j’étais tout sauf ça.


Pour la gloire du Roi-Liche.
Pour la gloire de l’être qui faisait sienne notre volonté.
L’être qui nous avait trahis de la manière la plus atroce, le monstre qui muselait notre cœur.
Il m’était difficile de percevoir toutes les conséquences, toute l’ampleur de ce qui venait de se passer. Je sentais simplement une pression en moins, qui se traduisait par une vacuité à la fois douloureuse et libératrice. Me maintenir debout malgré ce choc, identifier des visages, espérer nous en tirer, voilà tout ce dont j’étais capable, à part reconnaître mon nom. Quand j’essayais de mesurer les évènements, de comprendre – de me comprendre, je touchais à un néant indicible. J’affronterais qui j’étais et qui j’avais été plus tard. Pour le moment, ma seule identité était celle qui était à présent gravée en moi : main armée du Fléau, sans race, sans âge.
Les deux hommes revinrent à ce moment vers nous. Le supérieur du premier nous regarda tous l’un après l’autre.
-Anciens Chevaliers de la Mort, nous vous demandons de nous accompagner jusqu’à notre campement, où vous retrouverez certains de vos… semblables qui se sont libérés du joug d’Arthas. Notre Généralissime donnera les ordres nécessaires vous concernant dans un moment. Il est occupé par d’autres plans actuellement. Nous avons eu vent d’une offensive qui sera menée par les Chevaliers de la Mort dans quelques jours…
Ils formèrent des rangs que nous suivîmes, muets, tendus – au moins autant que les soldats qui nous suivaient, épées sorties des fourreaux. Je posai une main sur ma hache dans mon dos, un prolongement de moi-même autant qu’une promesse de survie qui, ici, ne semblait plus être de mise.
La marche ne fut pas très longue, quoique j’aie pris l’habitude, ces temps-ci, de me déplacer plus souvent avec ma monture qu’à pied dans ces contrées. Shalith… Qu’était devenue ma jument ? Je m’en inquiéterais après. Je n’avais même pas le loisir de m’inquiéter pour moi. Je redoutais le moment où je me retrouverais devant un miroir. Tout était assourdi, mes questions sans réponses, mon angoisse, notre témérité, le bruit de nos pas, le bruissement des tentes dans le vent, le regard méfiant des hommes qui nous accueillaient les armes à la main. L’un d’eux nous montra une grande tente ouverte de la pointe de son arbalète. Une tente qui abritait une dizaine de personnes, gardée par deux hommes qui paraissaient plus être là pour les surveiller que les protéger.
Nous nous y assîmes, avec ceux que nous identifiâmes comme ayant été des nôtres.
-Galeo ? s’étonna Shalé en rengainant.
L’elfe de sang hocha la tête en nous saluant. Il était entouré de deux orcs, de deux trolls, d’un nain, d’une naine et de deux humains. Plusieurs parmi eux m’étaient connus, et je raccrochai mon esprit troublé à ces visages familiers.
-Nous nous sommes libérés du joug du Roi-Liche il y a peu, avoua-t-il. Le contrecoup nous a tous balayés comme des fétus de paille. Il a fallu discuter ferme. J’espère que… nos anciens compagnons se dégageront de l’influence d’Arthas lors de la prochaine bataille. Son pouvoir s’affaiblit… Comme le pressentait Reveli. Ne me regarde pas comme ça, ma sœur. Tu es la plus sensitive d’entre nous, il est certain que tu l’aies perçu.
J’aurais aimé le nier, mais hélas ! je ne me le rappelais que trop bien. Oui, j’avais senti un malaise lors des derniers massacres, non pas à cause des meurtres – il fallait que j’assouvisse ma Faim – mais parce que je l’avais éprouvée, cette poigne froide, glaciale, pesante, désespérée. Sensation troublante, qui m’avait fait redoubler d’ardeur pour la combattre – j’avais encouragé mes compagnons de plus belle, avec l’énergie du désespoir lorsque certains autres avaient présenté les mêmes signes que moi.
La plus sensitive, me répétai-je en me demandant vaguement si j’étais capable de m’évanouir. Oui, la plus enjouée, aussi. Mais comme tous les Chevaliers de la Mort, un autre trait de caractère, inhérent à mon nouveau statut, m’avait été ajouté. La Faim sans fin.
Une image surgit soudain dans mon esprit, annihilant la vision que j’avais de mon environnement, submergeant tout le reste. Cette image m’était familière, me rendis-je compte en attendant patiemment quelques secondes qu’elle disparaisse. Même lors de ces derniers mois de servitude, elle s’imposait à moi de temps à autre. Je secouai la tête pour la chasser et retrouver ma vue, puis revins comme je pouvais à la discussion.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:27

II- L’Horreur et la Vengeance

« Nous ne sommes que les esclaves de cette douleur. » Dame Sylvanas Coursevent



Le regard de Darion Mograine rendait les choses encore plus difficiles. C’était un regard hanté, le regard d’un homme qui ne se libérerait jamais. Et, malheureusement, c’était le regard que nous avions tous. Quelqu’un pourrait-il encore nous regarder dans les yeux avec ce regard-là ?
Il était venu au camp après la terrible bataille de la chapelle de l’Espoir de la Lumière. La première chose que nous avions remarquée était l’absence de Porte-Cendres. Or, jamais un Chevalier de la Mort ne se séparait de son arme. C’était un changement qui nous avait fait lever, méfiants. Il n’était pas seul, mais aucun de nos compagnons déchus ne l’accompagnait. Sans prêter attention aux vivants alentour, Galeo s’inclina hâtivement et prit la parole.
-Généralissime, que s’est-il…
-Nous avons perdu, l’interrompit Mograine de sa voix métallique avant de brosser un tableau rapide de la bataille.
Son résumé parvint à ma conscience comme à travers les limbes les plus épaisses, ajoutant une nouvelle pierre tombale à celle déjà présente sur mon esprit. Je ressentis toutefois quelque part du soulagement – les autres étaient à Acherus.
-La mainmise du Roi-Liche s’est relâchée, et nous ne sommes plus que les monstres qu’il a fabriqués, conclut-il sombrement. Mais cela, il semble que vous l’ayez déjà découvert.
Sans attendre une quelconque réponse, il nous tourna le dos et invoqua un immense portail dont la structure laissait échapper des flots de fumée noirs et violets. Suivie de mes compagnons, je le franchis dans un demi-coma.
Je ne regardai pas les visages autour de moi, ni n’écoutai le discours qu’on nous délivra. J’ignorais si cela m’apporterait du réconfort ou bien m’enfoncerait encore plus profondément dans la conscience de l’horreur, mais je ne tenais pas encore à le savoir. M’appliquant à ne pas penser, obéissant aux injonctions données, je pris comme la moitié de mes compagnons le portail pour Hurlevent, sans chercher à analyser les sentiments qu’éveillait en moi le terme d’ « Alliance » ou le nom de cette ville.
Mes sabots se trouvèrent soudain sur une large route pavée. En voyant l’air abasourdi et méprisant des hommes qui se trouvaient à quelques mètres, j’empoignai sans réfléchir mon arme, imitée par les autres.
-Par là, indiqua Mak’tor en désignant la route de la pointe de son épée runique.
Marcher. Avancer, mettre un sabot devant l’autre, ignorer les cris, les insultes, les menaces. A chaque pas et à chaque mot qui résonnait, garder le flou épais qui me protégeait devenait plus difficile. Je sentais plus que je ne voyais mes compagnons bouillir, injuriés par des gens souvent visiblement faibles et incapables de se battre, qui ne savaient rien d’eux ni de la non-mort.
Je ne reconnaissais pas un seul chemin, ni une seule personne, mais le voulais-je vraiment ? Non, et je m’agenouillai sans oser relever la tête quand l’homme que nous étions venus rencontrer se leva.
Il avait une voix suffisamment imposante et puissante pour me tirer un peu, malgré moi, de ma torpeur. Ses phrases tailladaient mes tympans, mettaient à mal mon incompréhension trop commode. Maladroitement, je rejoignis mes compagnons qui se mettaient en cercle.
-Ceux qui repartent à Acherus pour trouver comment planter le plus rapidement une lame dans le corps d’Arthas ? demanda Mak’tor d’une voix féroce.
Plus de la moitié de mes frères et sœurs dégainèrent en signe d’assentiment. Et moi qui d’habitude les tempérait ou les encourageait étais parfaitement incapable de m’exprimer – qu’aurais-je dit, de toute façon ?
Quelques personnes ne réagirent pas. Leur regard était désorienté, et fugitivement je me demandai si j’offrais la même vision. Les autres promirent de revenir bientôt à Acherus. Sans doute avaient-elles autre chose à faire avant de… Je ne savais pas, je ne savais pas. Je posai mes mains contre mon ventre, sentant mon corps se plier légèrement en deux. Il fallait que j’affronte ce qui me dévorait.
-Reveli ? interrogea la voix de Shalé. Tu vas bien, ma sœur ?
-Mmmh, émis-je en tentant de me redresser.
Une silhouette masqua la sienne.
-Tu devrais prendre une chambre dans une auberge, dit Mak’tor à mi-voix. Tu as peut-être besoin de te reprendre. Tu ne sembles pas…
Sa voix hésita, puis se tut.
« Une auberge ». « Te reprendre ». C’est tout ce que j’avais compris. Il y avait un endroit où je serais seule pour tenter de me reconnecter avec la réalité. Il fallait que j’affronte ce qui me dévorait.
-Où ? soufflai-je d’une voix le plus neutre possible.
-Je t’accompagne, décida un de mes compagnons.
D’après sa voix bourrue, je reconnus un nain, Erwin. Je suivis ses pas, à demi consciente de mon environnement, et me retrouvai face à une jeune femme qui recula à peine.
-Vous faut-il une chambre ? dit-elle doucement en se tordant les mains.
-Oui, répondit brusquement Erwin en lâchant des pièces de métal sur une petite table. Voici la pensionnaire, et foutez-lui la paix.
La fille pointa du doigt une porte à l’étage.
-A bientôt, Reveli, chuchota le nain. On se reverra…
Sans respirer, mon arme pendant au bout de mon bras, je montai lentement l’escalier, ouvris la porte indiquée, la refermai.
J’étais dans un rêve distordu, et il fallait que j’en appréhende toute la monstruosité pour me réveiller.
La chambre se composait d’un large lit, d’une petite salle d’eau sur le côté, et de deux meubles, dont une armoire imposante, recouverte d’une glace immense. Je m’approchai lentement du miroir, très lentement. Il me fallut un temps infini pour être plantée devant, à supposer que je possédais encore la notion du temps.
La silhouette devant moi était, selon toute logique, la mienne. Mais je retirai toute ma cuirasse avant de me contempler en face, restant avec une simple chemise noire qui tombait jusqu’à mes genoux.

Ma peau était d’un bleu trop pâle, faisant ressortir le noir de mon vêtement. Mes bras comme mes jambes avaient une musculature assez longiligne. Mes sabots étaient petits. En fait, j’avais l’impression que j’étais plutôt petite.
Je passai une main hésitante sur mes courbes, ma taille, mes membres, ma queue ornée de deux anneaux dorés, mes tentacules si fins, mes oreilles, m’intéressant enfin à mon visage.
Mon visage ne reflétait pas la moitié de la destruction intérieure que je ressentais. Il était étrangement doux et serein, malgré mes lèvres amincies par le froid et mon regard. Mon regard… Mon regard était lumineux, une luminosité qui me paraissait impossible. J’y reconnus l’éclat dénaturé des runes, bleu, glacial, inévitable. Je relevai une mèche de cheveux blonds – un blond trop solaire, trop doré, qui sonnait faux – qui tombait sur mon front pour la replacer derrière mes cornes.
Seuls mes yeux montraient un peu ce que j’éprouvais. Ils étaient à la fois vides et remplis d’horreur, charriant ma mémoire dans la volute bleue qui s’en échappait.
Je reculai d’un pas, prenant conscience de ce corps qui était le mien. J’étais une draeneï.
Ce mot-là était ancré en moi. Je ne savais ni pourquoi ni comment, mais c’était ainsi. Il était associé à d’autres termes, la loyauté, l’entraide… la famille.
J’aurais pu, tout de suite, m’interroger sur ce nouveau mystère. Pourquoi ces valeurs étaient-elles imprimées dans ma chair si profondément… pourquoi le terme de famille ne m’amenait-il aucune image ? Je fouillai avec angoisse mes souvenirs, ma mémoire, tout ce que je savais, tout, sans rien trouver que le Roi-Liche m’annonçant que j’avais été relevée avec succès, et ces quelques mots qui trouvaient écho dans mon âme. Mais cet examen s’interrompit quand mon regard tomba sur ma hache, posée avec soin sur mon lit. Il passa, affolé, sur mes mains, puis sur mon image dans la glace.

Mes mains avaient saisi cette arme tant de fois ! Elle faisait partie de moi.
Les vies qu’elle avait prises, volées, faisaient partie de moi, s’immisçaient dans mon corps, dévoraient tout ce qui n’était pas honte, culpabilité, chagrin.
J’avais tué. J’avais massacré. J’avais torturé. C’était indéniable, dénué de tout le flou qui m’avait submergée depuis le réveil. Ces éléments étaient clairs comme du cristal. Une myriade de cris m’assaillirent en même temps. Je les avais déjà affrontés, entendus, mais seulement l’un après l’autre, lorsque mon maître ordonnait que leurs possesseurs soient tués. J’avais usé d’une cruauté impossible. Les mots ne savaient pas décrire l’indescriptible et je ne pouvais que ressentir l’horreur, la violence que j’avais générées qui envahissaient ma poitrine. Les pierres tombales qui me muselaient, ma vision fluctuante, ma douleur dérisoire, ma faute terrible s’y mêlaient, enflaient comme une promesse d’explosion imminente.
Je me rendis compte que j’étais pliée en deux – réflexe de vivante quand les choses devenaient intolérables. Je m’aperçus, surtout, que ce que j’avais voulu faire était impossible.
Je ne pouvais pas affronter ce qui me dévorait.
Cela me dépassait, engloutissait toute sensation dans son influence glaciale et brûlante. Je voulais courber l’échine, admettre l’inadmissible, supporter, endurer – comme si nous pouvions nous racheter…
Mon hurlement me signifia clairement que ce qui enflait en moi avait atteint mes limites. J’encaissais enfin tout, j’étais rattrapée par la détresse.

C’était une évidence, je ne pouvais pas vivre. Une question de dignité et de simple incapacité qui tombait sous le sens et prit une partie de ce second choc presque à ma place. L’image de mes compagnons s’imposa à moi, mais elle était moins puissante que l’horreur ; enfin, une autre prit place, brûlant mes rétines derrière mes paupières fermées. Celle qui me hantait depuis des mois, qui me donna une clé possible – je devais savoir qui j’étais, ne serait-ce que pour comprendre cette vision. Une porte de sortie, mon unique devoir envers moi-même avant de soulager ce monde de mon âme, et cette dernière de ce poids inconcevable.
Je m’effondrai.


Dernière édition par Lil Mel le Mar 10 Fév - 15:08, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:27

III- La Mémoire

« Il y a encore une chose que je me dois à moi-même. » Thassarian


Le plafond de bois était sombre. Je distinguais les poutres ébène, mais l’obscurité m’empêchait de mieux les observer – comme s’il y avait quelque chose à voir. Mon regard tombait sur l’envers du toit, mais après être resté fixé dessus autant de jours, il ne me donnait rien qu’une vision abstraite, sans importance. Je le regardais sans le voir.
Au bout de plusieurs heures, la pièce s’emplit de la luminosité solaire. C’était peut-être la dixième fois que j’assistais à ce spectacle, sans y prêter l’attention qu’il méritait. Je restais suspendue à quelques mots : Draeneï, famille, Exodar, Draenor, Alliance, amour, Lumière. Ils provoquaient chacun des réactions étranges, sentiment de joie à peine distillé dans mes veines, sensation de plénitude que je ne faisais qu’effleurer. Ils paraissaient familiers à celle que j’avais été… Je fermai les yeux, me concentrant encore et encore sur les syllabes, m’accrochant aux visions éphémères qui me traversaient.
Une image flotta un instant derrière mes paupières, très douce et floue. Une rampe, entourée de rambardes dorées, surmontée de symboles ; des silhouettes semblables à la mienne étaient entr’apercevables au fond, nébuleuses, accompagnées de deux autres, plus grandes et plus larges. Une lumière mauve et dorée baignait le tout. Je tentai d’avoir une vision plus précise des draeneï, ou de la lumière, mais plus je m’y raccrochais, plus ils s’effaçaient. Je rouvris les yeux. J’aurais voulu voir la famille que j’avais peut-être un jour eu, où est-ce que j’habitais… comment j’étais morte. Mais les fouilles approfondies de ma mémoire ne me laissaient que des images approximatives, sans indices véritables. Je possédais l’éternité pour me sonder, mais je ne pouvais visiblement pas compter sur moi-même pour avoir des réponses.
Au moment où je voulus mobiliser mes muscles pour me relever, ma vision habituelle supplanta tous mes sens, me mettant devant cette image presque douloureuse tant elle était claire. Cette fois-ci, je m’efforçai de la détailler, et non de la chasser.
C’était un regard d’homme. Les prunelles étaient bleues, un peu sombres ; elles étaient encadrées de cils noirs épais, mais une lumière dorée les éclairaient. Ces yeux étaient implantés dans un visage humain, surmontés de sourcils bruns épais. Les pommettes, le nez droit, la ligne définie et belle de la mâchoire, les lèvres, la barbe de quelques jours, les mèches d’un brun mordoré qui retombaient sur le front… Je contemplai ma vision en tentant de l’apprendre par cœur, puis elle s’effaça, se dissolvant dans l’air comme un écran de fumée dans lequel on passe sa main.
Je me mis debout pour la première fois depuis que j’étais arrivée dans cette chambre. Tout en arrangeant d’un geste ma tunique longue, je dus admettre que le visage de l’homme ne me disait rien. Je ne le reconnaissais pas, si tant était que je l’avais connu.
Troublée, je saisis ma cuirasse et l’attachai rapidement. Je pris mon arme et la rangeai dans mos dos, avant de sortir de la petite chambre.
La jeune fille qui m’avait accueillie était assise dans un fauteuil et consultait un livre. Lorsqu’elle me vit, elle me fit un petit hochement de tête, l’air mal à l’aise. Je compris et piochai dans ma besace, en retirant quelques pièces que je déposai sur une table. Sans attendre de réponse à mon geste, je sortis de l’auberge.

Les rues ne m’étaient pas plus familières que la dernière fois, et je n’osais pas demander mon chemin. Je me retrouvai tantôt dans des ruelles sombres, tantôt devant d’immenses bâtiments ou des places encore peu fréquentées à cette heure. Je vagabondai sans but, évitant les avenues, jusqu’à me retrouver au port. De là où j’étais, je voyais le lent va-et-vient des bateaux, les rondes des gardes, les portefaix qui commençaient à s’agiter. Je réfléchissais, le regard perdu dans l’immensité bleue.
Ma connaissance de moi-même n’était qu’un vide béant et douloureux. La seule identité imprimée à jamais en moi était celle du Fléau. J’avais été façonnée… Non : refaçonnée. Il restait forcément quelque chose de moi, si tant était que je pouvais concevoir une personnalité la fois mienne et terriblement étrangère. Mais quoi ? Je plongeai mon visage dans mes mains. « Enjouée », « courageuse », « encourageante », je savais que c’était les mots qu’auraient choisi mes frères et sœurs d’armes pour nommer mes caractéristiques les plus… vivantes qui semblaient avoir survécu à ma soi-disant renaissance. Mais cela ne suffisait pas à me définir complètement… Tant de questions, quelque part vaines – une famille ? Quelle famille m’accepterait désormais ? – mais inévitables, ineffables. Je devais savoir qui j’étais. Je songeai une seconde à ma vision – je voulais tellement la comprendre… Que n’aurais-je pas donné pour avoir quelque chose, un document, une phrase me concernant, qui comblerait ce vide atroce ? Un papier avec des indications sur moi, une lettre, un mot, un registre, n’importe quoi…
Cette pensée me fit redresser la tête. Un registre… Bien sûr qu’il y en avait un. Le registre militaire. J’étais morte sur un champ de bataille, cela, je le savais. J’avais forcément mon nom inscrit quelque part dans un épais livre de recensement militaire. Mais qui possédait ces documents aujourd’hui, s’ils existaient encore ?
Je n’en avais aucune idée. Mais il y avait une chance pour que quelque chose contienne une trace de mon passé, et je m’y accrochais. A qui demander de l’aide pour savoir où chercher ? Je me posai à peine la question avant de me relever. Je faisais partie de la Sombre Fraternité.
Je levai mes paumes sans savoir qu’en faire. Pourtant, j’en étais normalement capable… Je me concentrai sur ma destination, ressentant la puissance runique parcourir mon corps, frémir dans mes mains, se répandre en un tourbillon autour de mes doigts, donner naissance à une arcade emplie de volutes. J’effleurai mon portail de ma main gantée, sentant le lien avec Acherus se resserrer à travers les milliers de kilomètres. Je le traversai sans hésiter.
Me retrouver au Fort d’Ebène ne me déstabilisa pas. Je connaissais chaque pierre, chaque meuble, chaque rune gravée. L’air même m’était connu, mais trop d’ordres de massacres avaient été donnés ici. L’architecture n’était pas faite pour attirer la vie, et je baissai les yeux en avançant.
-Etrange que pour le moment cet endroit seul soit mon foyer, murmurai-je.
-Il en est ainsi pour chacun de nous, ma sœur, dit une voix derrière moi.
-Mak’tor… Salutations.
Je contemplai son visage avec plaisir. Quelque chose de familier, de simple.
-Comment vas-tu ? demanda-t-il d’une voix neutre.
-Je ne sais pas, chuchotai-je. Je… suis peut-être trop perdue pour te répondre.
Il hocha la tête sans me regarder, puis s’approcha de moi et me plaqua contre lui, une main dans mon dos. Son geste presque brutal ne dura que le temps que je heurte son torse, puis il repartit en direction d’une forgerune. Ses manières de guerrier m’avaient une seconde coupé le souffle, et je marchai lentement en direction de nos quartiers.
Ils n’étaient pas vides. Une dizaine de mes compagnons étaient installés en cercle, mais ceux qui avaient rejoint la Horde, s’ils écoutaient tout autant, se tenaient un peu en retrait.
-On ne pourra pas faire l’économie de ce bataillon, disait une voix féminine. Tu le sais, Galeo ; même si nous…
-Oui, compris, répondit l’elfe avec désinvolture. Bonjour, Reveli.
Les visages se tournèrent vers moi. Je répondis d’un signe de tête aux diverses salutations.
-L’ordre du jour ? demandai-je comme si les dernières semaines n’avaient pas existé.
Cette habitude me fit mordre mes lèvres, mais je me concentrai sur la réponse de Shalé, debout sur la table.
-On parle de la Croisade d’Argent, Rev’. Plusieurs d’entre nous sont assez inconscients pour penser que la Lame d’Ebène suffira.
-Arthas n’est pas invincible ! tonna un orc.
-Non, mon frère, mais arriver jusqu’à lui n’est pas chose aisée ! rétorqua un tauren.
-Cesse de m’appeler Rev’, soufflai-je à la gnome tandis que le débat se poursuivait.
-Nan, j’aime bien, répondit tranquillement la gnome en remettant en place une de ses courtes mèches noires.
-Ça m’agace, lâchai-je.
-Tu viens pour participer ? me demanda une humaine avec un sourire.
Je secouai négativement la tête. Elle lâcha un « ah » et se désintéressa de moi pour se pencher sur le parchemin déroulé au centre.
Comment lui expliquer ? J’étais un non-être qui cherchait ce qu’il avait bien pu être un jour, avant d’être aspiré par la vacuité et l’horreur qui dévoraient ce qui restait de son âme découpée. Je n’avais plus rien, pas même ce besoin de vengeance qui tenaillait tant mes frères.
-Que voulais-tu, Reveli ? me demanda un réprouvé sur ma gauche.
Je contemplai son regard doublement mort. L’horreur qui m’avait arraché mes dernières larmes ne paraissait pas l’avoir troublé plus que de raison, mais sans doute cela avait-il une forme de logique.
-J’ai besoin de quelques-uns d’entre vous.
Torken haussa les sourcils, plissant la peau décomposée de son front.
-Si on peut t’aider. Qu’est-ce qui se passe ?
-Où est Thassarian ?
-Il doit être à Hurlevent, lâcha une voix anonyme.
J’hésitai. Je pouvais invoquer un portail de nouveau, repartir pour la capitale. Mais j’avais besoin de marches, d’actions, de moments de communication silencieuse avec les miens. Je voulais, à défaut de me retrouver, récupérer une place, un rôle. Quelque chose qui me permettrait peut-être de me ressaisir. Un peu de temps. Je savais ce que je voulais, mais je serais incapable de me lancer dans des recherches sans cela.
-De quoi as-tu besoin ? répéta Shalé.
-J’ai besoin que vous m’accompagniez pour une longue route.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:34

IV- La Route

« Ce n’était qu’une étape vers un projet plus global. » Kael’thas



-C’était comment, déjà ? demanda Shalé d’une voix sans expression.
-Je ne sais pas. On était mieux, il me semble. L’impression d’être en sécurité, répondis-je en rajoutant du bois sur notre inutile brasier géant.
-C’est utile pour faire griller les ennemis, lâcha Mak’tor en s’asseyant, point barre.
Mais il étendit comme nous ses longues jambes vers le feu, tentant de se rappeler la sensation de chaleur. Son visage se tourna vers moi, qui me tenais droite, les mains posées sur ma hache.
-On repart dans quelques heures ? suggérai-je.
Shalé, Mak’tor et Torken hochèrent la tête, même si l’humain me jeta un regard vaguement étonné. Nous n’avions nul besoin de repos, mais nous n’avions pas non plus de raison de nous dépêcher comme si notre vie était courte.
Je m’étendis dans la neige, contemplant le ciel nocturne de Dun Morogh. Shalé protesta contre l’épaisseur de la neige, qui lui mangeait dix bons centimètres de taille, et Torken raconta les dernières nouvelles.
-Hésité ? Pourquoi Kolitra aurait-il hésité à rejoindre la Horde ? demanda Mak’tor.
Le mort-vivant haussa les épaules.
-En tout cas, paraît que Thassarian l’a décidé à rejoindre sa faction…
Shalé émit un petit sifflement. C’était une difficulté à laquelle nous ne nous étions pas encore confrontés. Nous étions frères et sœurs dans la mort, ces factions de vivants divisaient ce qui ne pouvait l’être… Et pourtant, le devoir entre nos anciens alliés n’était-il pas une des rares choses qui nous restaient ?
-Thassarian ne laissera jamais tomber Koltira si celui-ci l’appelle un jour, dis-je doucement.
-Je le pense aussi, assura Mak’tor. Mais si leurs ordres sont de s’affronter, que crois-tu qu’ils feront ?
Il ricana, jeta violemment une boule de neige sur le feu qui broncha.
Je me mordillai la lèvre inférieure. C’était un coup dur. Acherus était peut-être un des seuls endroits où je n’aurais pas à me sentir mal à l’aise face à mes compagnons de la Horde. Torken eut un petit rire en voyant mon visage.
-Rev’, si un jour on doit se battre, ce sera à la loyale et pour une raison valable. Si c’est parce que ça arrange Thrall…
-On en est pas là, coupa la gnome en passant la pointe de son arme dans les flammes.
Le silence se fit, entrecoupé par le vent glacial qui balayait notre feu vacillant. J’entendis un bruit de pas dans la neige, et souris. Shalith pencha sa tête vers mon front, posant son chanfrein contre mes cornes. Je tendis la main en arrière pour caresser son encolure. J’avais retrouvé ma jument il y a quelques jours, en partant d’Acherus avec mes frères et ma sœur ; elle était avec d’autres près des ruines de la Nouvelle-Avalon. Je me relevai pour m’appuyer contre elle. Elle me ressemblait. Petite pour sa race, réanimée. Je remis sa crinière malmenée par les vents en place et m’occupai de ses sabots. A quelques mètres, Mak’tor faisait de même. Sa monture était bien plus grande que la mienne, un étalon qui piaffait en surveillant Shalith du coin de l’œil. J’amenai ma jument jusqu’à un des rares arbres en la tirant par le licol. Elle posa sa tête sur mon épaule, déclenchant un petit rire. Je retournai ensuite près du feu et jetai un autre fagot tout prêt dans le brasier, qui repartit de plus belle, avant de me rallonger dans la neige.
-Tu sais par où tu veux passer ensuite, Rev’ ? m’interrogea Torken en vérifiant que ses os tenaient encore bon.
-Oui, répondis-je en grimaçant un peu à la vue de ses rotules remises en place. Près de Forgefer – on ne s’approchera pas vraiment, ne t’en fais pas – puis direction Sud. Et bal’aa Naaru, mon nom est Reveli.
-Ba- quoi ?
Troublée par ces mots qui étaient sortis tout seuls, je détournai la tête et fermai les yeux.
Son visage était là.
En filigrane, derrière mes paupières, au cœur de mes prunelles, inondant mon cerveau et submergeant la totalité de mes sens.
Je cherchai à dissiper ma vision, mais elle s’accrocha quelques secondes. Le regard bleu marine de l’homme me fixait sans que j’en comprenne l’expression. Je rouvris brutalement les yeux dès que je fus libre de mes mouvements. Je me relevai rapidement et marchai d’un pas décidé vers ma jument.
-On repart tout de suite, décidai-je, agacée par mon incapacité à me défaire de cette image obsédante.
Ils obéirent sans poser de question, sautèrent en même temps que moi sur leurs chevaux. Je chevauchais en tête, Mak’tor légèrement en retrait et Shalé et Torken juste derrière. J’avais une place. C’était un soulagement, mais le poids qui quelques semaines plus tôt m’avait dévastée n’avait pas disparu. Il était là, baignant mon corps et mon esprit de plomb, alourdissait tout. Une pierre tombale différente de celle à laquelle j’aspirais, et bien plus terrible.
Je ne m’étais pas retrouvée, mais je me tenais à ce que j’avais – ce rôle de Chevalier de la Lame d’Ebène. Je ne pouvais ni ne voulais m’en détacher, et je m’en servais comme base pour avancer et trouver mes réponses.
Au bout de quelques heures de chevauchée, Mak’tor s’éclaircit la gorge.
-J’aurais besoin de m’arrêter un peu, dit-il d’une voix légèrement saccadée.
Il posa une main gantée sur son torse, et je hochai la tête en détournant Shalith de la route.
-Il y a des campements de rebelles à exterminer à l’est, si je me souviens bien, indiqua Shalé.
-Très bien. Merci de l’indication.
Autant éviter de décimer des nains de l’Alliance.
Mak’tor sauta de son cheval à peine entré dans le camp et abattit sa lourde épée sur tous ceux qui se ruaient vers lui. Il sabra deux têtes et découpa les corps avec le revers. Il renversa la tête en arrière, émit un cri de rage et décapita un nouvel assaillant.
En le voyant relâcher son contrôle et assouvir une Faim qui semblait dévorante, nous l’avions laissé se défouler et nous étions éloignés de lui. Shalé, à la vue du carnage, passa sa main dans ses courtes mèches.
-Autant nettoyer le coin pendant qu’on y est, suggéra-t-elle. Nous n’aurons peut-être plus l’occasion avant un moment de… enfin, vous me comprenez.
Le réprouvé et elle partirent vider la plus grande tente de tous ses occupants. J’inspirai profondément. Sentir le sang et voir les ravages des combats réveillaient malheureusement ma propre Faim. J’aurais aimé me battre contre elle et l’annihiler à force de volonté, mais je craignais d’attaquer mes propres frères ou des innocents le jour où celle-ci ne serait plus suffisante. Il n’y avait pas d’autre moyen, il fallait que je l’assouvisse – pour ma survie, mais surtout celle des autres. Je poussai un cri d’encouragement puis un autre de rage et finis par dégainer ma propre arme, couverte de runes de glace. Lorsque je sentis la puissance du métal tranchant au bout de mes bras, je me jetai dans la mêlée et tuai tant que je le pouvais, massacrant tous les ennemis qui m’entouraient avec une efficacité redoutable.
Il ne nous fallut pas longtemps pour décimer tous les êtres vivants du coin. Mak’tor mit un genou à terre le temps de nettoyer son arme, et je l’imitai. La Faim sans fin s’était apaisée. Je rejetai une mèche blonde en arrière et désignai la route d’un mouvement de la tête. Nous enfourchâmes nos montures et repartîmes, cette fois-ci au galop. Pendant un moment, je fis même la course avec Shalé. Elle pressa tant sa monture que je n’eus pas le cœur à l’empêcher de gagner ce petit jeu et ralentis insensiblement.
Mak’tor me jeta un regard morne, comme si je lui faisais honte. Je me remis au pas et chevauchai à son côté.
-Sais-tu… qui tu étais ? dis-je doucement en regardant la route devant moi.
Il eut un rire dénué d’humour.
-Oui, et ça n’a aucune espèce d’importance. La mort, ça met du plomb dans le crâne.
Torken, qui l’avait entendu, rigola.
-Au propre comme au figuré, commenta-t-il.
-Et toi ? lui demandai-je en inclinant la tête sur le côté.
-Un réprouvé, dit-il avec un grand sourire qui tendit sa peau parcheminée. Et encore avant ça, je crois que je venais d’une famille noble. Je suis mort deux fois, il va falloir y aller si un jour quelqu’un veut me menacer.
Nous sourîmes en même temps, puis Shalé raconta ses démêlés avec sa propre famille, qu’elle comptait retrouver.
Je cachai mon malaise grandissant. D’où venais-je ?

Le trajet fut plus difficile lorsque les températures redevinrent clémentes. A plusieurs reprises, nous dûmes nous écarter de notre trajectoire initiale pour éviter de provoquer une panique monstre dans les villages – surtout avec Torken. Lorsque nous fûmes enfin en vue de la Forêt d’Elwynn, il se tourna vers moi.
-Reveli, ça m’étonnerait que je puisse aller beaucoup plus loin, soupira-t-il.
-Je sais. Merci de m’avoir accompagnée jusque-là.
-Pas de quoi. Toi aussi, tu peux faire appel à moi jusqu’à ce qu’on m’ordonne de me battre contre toi.
Il me fit un clin d’œil, je secouai la tête, puis il descendit de sa monture.
-Mak’tor, Shalé, on se retrouve au Fort.
Il les salua et invoqua un portail, avant de le traverser.
Sans nous consulter, nous repartîmes au trot soutenu, traversant les bois en peu de temps. La route principale s’offrit bientôt à nous, et nous dûmes passer au pas sous peine de renverser les passants. Je descendis de Shalith lorsque j’arrivai à l’auberge de la Rose dorée.
Je désignai une table à mes compagnons, et nous nous y assîmes.
-Un bon voyage, commenta Shalé en retirant ses épaulières pour plus de commodité. Ça t’a… servi ?
Je hochai la tête, ils ne posèrent pas de question.
-A ta place, je demanderais à un garde pour savoir où est Thassarian.
-Ils vont la rembarrer, grogna Mak’tor. Prétexter qu’il est occupé ou je ne sais quoi.
-Mais non. Et Thassarian n’est jamais trop occupé quand il s’agit de recevoir Rev’.
Ils sourirent en coin, je soupirai.
-Ça suffit ces plaisanteries stupides ! protestai-je.
Je n’étais ni l’apprentie ni l’amie du Chevalier de la Mort. Mais je le respectais profondément, et nous nous étions retrouvés plus d’une fois sur les champs de bataille, souvent sous ses propres ordres. J’espérais que le lien que j’avais avec lui serait suffisant pour que je puisse lui parler et obtenir mes renseignements.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:35

V- L’Univers de ses Yeux

« Si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi. » Roi-Liche Arthas



J’écartai le rideau avec précaution avant de faire un pas dans la salle. Une petite dizaine de personnes discutaient à voix basse, claquant leurs talons sur le sol impeccable. Sur deux tables étaient déroulés de grands plans. A vue d’œil, il s’agissait à peu près des mêmes que ceux d’Acherus. J’esquivai mon reflet au sol et m’approchai du seul homme ici à ne pas être en blanc ou en doré.
Avant que je ne puisse l’interpeller, une main s’abattit sur mon épaule et je me retournai d’un mouvement réflexe.
-Que faites-vous ici ? dit le garde en me regardant dans les yeux, une moue de dégoût sur les lèvres qu’il tentait visiblement de réprimer.
Son geste autoritaire et sa haine me perturbèrent, je balbutiai.
-Je… Je venais juste voir…
-Elle est avec moi, dit une voix grave et puissante dans mon dos. Lâchez-la.
-Elle n’a pas…
-Autorisation d’entrer ici ? Elle est citoyenne de l’Alliance, que je sache, soupira une femme.
Le garde sembla avoir de gros doutes quant aux capacités mentales des deux personnes qui venaient d’intervenir, mais il retourna se poster plus loin, sans cesser de me surveiller du coin de l’œil.
J’inclinai légèrement la tête en direction de la femme, qui haussa les épaules et se pencha derechef sur le plan. Puis je me tournai vers l’homme.
-Thassarian, le saluai-je sans empêcher mon plaisir de le revoir imprégner ma voix.
-Reveli, dit-il à voix basse. Comment allez-vous ?
-De ce que j’en sais, la plupart sont à Acherus et sur le pied de guerre. Moi… c’est la raison de ma venue.
Il me vrilla du regard quelques secondes. Ses yeux encadrés de mauve exhalaient des volutes bleues qui ne parvenaient pas à éradiquer le miroitement gris derrière. Son regard charriait pêle-mêle résolution, hurlements, bouillonnement et glace, un peu d’espoir et de tristesse…
Que voyait-il dans le mien ? Je n’en savais rien.
Il soupira et s’écarta de quelques mètres, nous ménageant un espace, puis me désigna du menton pour que je parle.
-Je suis amnésique, Thassarian, dis-je simplement d’une voix dont je tentai d’atténuer les accents désespérés. Je ne me souviens… de rien… avant les heures noires. Je m’étais bien engagée dans une armée pour me retrouver à l’état de cadavre sur le champ de bataille. J’ai besoin des registres militaires pour retrouver quelque chose… Quelque chose sur moi…
De nouveau, il me contempla fixement avant de me répondre. Je sentais mes lèvres trembler. Est-ce que c’était normal, ça ?
-D’autres ont subi un traumatisme mémoriel lors du Réveil, dit-il pensivement. Mais les cas ne sont pas nombreux. Reveli… es-tu certaine de vouloir retrouver ton passé ?
-Bien sûr, répondis-je sans réfléchir.
-Ce sera peut-être dur, dit-il doucement. Je ne pense pas que tu aies été une tortionnaire sanglante – il eut un petit rire – mais tu peux te souvenir de ton éducation, d’une famille qui ne voudra jamais de toi. Tu as vraiment besoin de raisons supplémentaires de t’en vouloir et de regretter ce qui ne pourra jamais être changé ?
Je sentis mes yeux s’emplir de larmes sans réussir à les refouler. Je me sentais faible, quelque part.
-Thassarian, je n’ai pas le choix, murmurai-je, consciente du regard du garde dans mon dos. Il te reste le devoir comme raison d’exister, il ne me reste que des réminiscences épuisantes. Je ne ferai plus jamais rien de moi tant que je n’aurai pas retrouvé ce qui un jour m’a constituée.
Ce que j’avais l’intention de faire de moi, c’était un cadavre définitif, mais je n’ajoutai rien.
-Je connais quelqu’un, dit-il en détachant ses mots. Quelqu’un qui a les archives à portée de main. Elles ne sont peut-être même pas fermées au public, pour ce que j’en sais.
-Où est-il ?
-C’est un bureaucrate de l’armée dont j’ai entendu parler. Il passe sa vie dans la Cathédrale. Mais Reveli, tu ne pourras jamais y accéder. Ils ne laisseront pas rentrer un Chevalier de la Mort. Et à supposer que tu y aies accès… Vu tous ceux que tu as décimés qui faisaient peut-être partie de sa compagnie… Je doute qu’il se mette en quatre pour te rendre service.
Sa bouche se tordit en un sourire, et la mienne l’imita sans le vouloir, puis je soupirai.
-Je vais tenter, dis-je d’un ton morne. Je ne peux pas croire qu’avoir sous les yeux mon nom, mon origine ou que sais-je encore ne ramènera rien à la surface.
-Alors retrouve ce que tu cherches, et reviens. On n’aura pas trop d’un bon Chevalier de plus pour s’occuper de la Couronne de Glace.
Je hochai la tête d’un air incertain.
Il esquissa un pas sur le côté, puis revint et me plaqua contre lui en utilisant la force de son bras dans mon dos, mais moins violemment que Mak’tor.
-Réfléchis aux conséquences de ton choix. Après la mort d’Arthas, tu pourras mener tes recherches plus paisiblement.
-Ce n’est pas la vengeance mais un vide atroce qui dévore mon esprit, Thassarian, murmurai-je de même.
Je ne voulus pas écouter un autre argument et me battre encore contre l’autorité qui émanait de lui. Je le pressai une fraction de seconde contre moi, puis il me relâcha et après un dernier regard ardent – je me sentis figée – il retourna se pencher sur le plan.
-Alors, commandant Sang-de-Loup, dit-il en s’adressant à la jeune femme de tout à l’heure, où en sont les camps ?
-Nous avons déjà quelques positions, répondit-elle.
Je n’en entendis pas plus et sortis, ce qui eut pour effet principal de relaxer le garde qui reporta son attention sur le dos de Thassarian. Je soupirai doucement et ressortis.
Je me perdis dans de vieilles ruelles, rasai les murs pour éviter les regards des gens et mon reflet dans l’eau des canaux, mais finis par retrouver l’auberge où Shalé était toujours.
-Mak’tor est reparti ? demandai-je en m’asseyant face à elle.
-Yep, répondit-elle en faisant tourner entre ses mains une choppe vide. Mais il a laissé entendre qu’il aimerait bien avoir de tes nouvelles, alors donne-moi ces fameuses nouvelles que je puisse repartir à Acherus.
-J’ai un contact possible à Hurlevent, dis-je à voix basse. Un homme dans la Cathédrale.
-La Cathédrale ? dit-elle d’un air dubitatif.
-Quelqu’un qui y travaille. Il doit y avoir des archives dans un quelconque sous-sol. Et oui, je sais que pour entrer je vais m’amuser. Inutile de tenter de me détourner de mes recherches, la prévins-je alors qu’elle ouvrait la bouche. Thassarian a essayé et ça n’a pas marché.
-Hrrm, eh bien j’espère que tu vas vite mettre la main sur ces papiers, voir que tu étais une gentille draeneï et que maintenant, tu peux botter les fesses des méchants. On serait pas contre t’avoir avec nous, Rev’.
-Je m’appelle Reveli, soupirai-je sans répondre.
-Voui, et alors ?
Elle me sourit et écarta sa choppe – avait-elle bu ? Il fallait y aller pour que l’alcool nous fasse quelque chose, de toute façon.
-Ne te donne pas de raisons d’avoir d’autres remords, me dit-elle avec un sérieux soudain. Tu sais où est ta place.
Elle me tapota le bras, puis sauta de sa chaise et sortit de l’auberge. Je la regardai invoquer un portail pile devant tous ceux qui protestaient contre sa présence, puis j’enfouis mon visage dans mes mains. J’entendais bien l’appel de la Lame, mais il sonnait creux. L’écho de l’image qui me hantait, lui, m’emplissait – je n’avais besoin que de ça, l’identifier.
Le comprendre.
Savoir.
Puis faire cesser ce cauchemar, cette atrocité imposée. Redevenir ce que je devrais être à l’heure actuelle.
Les plaintes des autres clients parvenaient de plus en plus clairement à mes oreilles ; c’était sans doute intentionnel. Je ressortis de l’auberge, les yeux fixés sur des pensées qui s’entremêlaient, tissant un écheveau rouge et gris.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:38

VI – L’Exclusion

« A ces anciens héros de l’Alliance, vous ferez bon accueil, et vous les traiterez avec le respect que vous devez à tout allié de Hurlevent ! » Roi Varian Wrynn

« Un traître… En vérité, c’est moi qui ai été trahi. C’est moi que l’on pourchasse, c’est moi que l’on hait. » Illidan Hurlorage



Hurlevent était immense. Son architecture était parfois lourde, dépourvue de noblesse, mais bigarrée et variée. Chose étrange, elle me paraissait presque familière. Je continuais d’avancer, cherchant des yeux un endroit paisible. Il était particulièrement tôt – le soleil n’était pas encore levé, mais le ciel rosissait à vue d’œil. J’ignorais s’il faisait frais, mais à voir les deux seules personnes emmitouflées que je croisai, l’hiver ne tarderait plus.
Au hasard des avenues et des ruelles, je passai sous un énième pont de pierre, et débouchai sur une large place.
Je l’aimai instantanément. Une immense fontaine surmontée d’une statue était en son centre, entourée de bancs de pierre blanche. L’eau rejaillissait en arcs, envoyant des gouttelettes sur les rebords sculptés. Des arbres offraient une ombre encore inutile aux passants et une touche de verdure à l’espace. Sur ma gauche, la place semblait se prolonger en une avenue presque verdoyante ; je n’en voyais pas le bout.
Tout était encore désert. J’avançai lentement pour mieux voir le bâtiment que la fontaine me cachait en partie et restai la tête en l’air quand je le vis en entier.
Il était gigantesque, foisonnant de tours blanches et dorées. Des vitraux bleutés parsemaient la façade, ne donnant sans doute à l’intérieur que la lumière dispensée par les lampadaires toujours allumés. Pour entrer, un escalier couvert d’un tapis bleu et or donnait sur la large porte. Je me laissai tomber sur un banc face à la structure.
Je ne doutais pas d’être en face de la Cathédrale de la Lumière.
La Lumière… Je fronçai les sourcils. Ce mot était comme draeneï, Exodar, famille. Il évoquait quelque chose de puissant et de très trouble. Je fermai les yeux, mais aucune réminiscence ne vint éclairer ce terme. Frustrée, je soupirai. Pourtant, il m’évoquait quelque chose ; cela avait eu de l’importance, c’était obligé… Obligé…
Rouvrant les yeux, je m’obligeai à respirer lentement et profondément. Je me laissai aller contre le dossier. Le soleil se levait enfin, baignant ma chevelure et la fontaine de sa lumière éclatante. Je refermai les yeux, plus détendue que je ne l’avais été depuis des jours ; je ne sais ce que l’ambiance de cette place avait, mais je m’y sentais…mieux.
Je ne sais pas où j’étais plongée et depuis combien de temps j’y étais, mais alors que j’étais perdue dans des limbes presque lumineuses, je perçus une voix – une voix masculine. Une voix de chez moi, qui parlait dans ma langue maternelle, fluide, si belle et expressive que je sentis vaguement des larmes étranges me monter aux yeux.
Respecte toujours ainsi les Naaru, Reveli. Un jour, tu comprendras peut-être à quel point ces êtres de Lumière nous sont chers… Remercie la Lumière de toute ton âme à chaque instant ; non, non, relève-toi ; vis en communion avec elle en agissant selon ses préceptes. Cela te viendra naturellement, ma fille. Ne souris pas ainsi, c’est important…
Je rouvris les yeux.
Quelques personnes matinales commençaient à arpenter la place. Parmi elles, des femmes qui bâillaient en allant chercher de l’eau aux puits, non loin ; des garçonnets qui couraient, et deux hommes et une femme en armure.
Je ne voulus pas affronter leurs regards ni savoir s’ils diraient quelque chose contre ma présence. Je refermai les yeux.
« Ma fille. » Venais-je de me rappeler d’un dialogue avec mon père ? Je secouai la tête, tentant de conserver le timbre chaleureux et profond de la voix, mais il m’échappait déjà, comme de l’eau entre des doigts. Je gravai, à défaut, ses mots dans ma mémoire.
Comment avais-je pu oublier la Lumière ? Oublier la sensation de plénitude et de chaleur qu’elle offrait à qui la respectait… Je fronçai de nouveau les sourcils. Cela était inscrit en moi comme une certitude. Je soudai mes mains, je voulais la retrouver.
Impossible.
Je rouvris les yeux, glacée de nouveau, quand je me souvins de tout ce que m’avaient dit tous ceux que j’avais croisés. Les valeurs qui m’avaient été, sans aucun doute, si chères n’étaient plus pour moi ; elles étaient vivantes, trop vivantes, éloignées, il m’était impossible de les rejoindre. Pas alors que ma seule existence était une injure faite à la Lumière. Je regardai mes mains gantées, serrées si fort. J’avais beau me concentrer, tenter de retrouver cette sensation… et je tentai longtemps. Je ne pouvais pas prier et retrouver cela. Je ne le pouvais pas, je ne le pouvais pas, je ne le pouvais pas… Crispée, j’endurai une nouvelle vague de douleur intérieure.
-Si elle ne dégage pas bientôt, je vais la faire partir, gronda sourdement un des hommes en armure.
Je le contemplai, brisant mes efforts inutiles. Il discutait avec ses deux compagnons. La femme m’ignorait superbement en feuilletant un ouvrage, l’autre homme tentait visiblement d’apaiser son ami. Peine perdue. Il vint à moi, visiblement énervé. Cela ne cadrait pas avec son habit lumineux…
-Runique, que faites-vous là ?
-Runique ? répétai-je.
-Chevalier de la Mort, assassin, comme vous voulez, lâcha-t-il après une grande inspiration. Vous n’avez pas honte d’être sur cette place sacrée ? D’entrer dans la…
-Je ne suis pas entrée dans la Cathédrale, répondis-je, lui coupant la parole.
-Elle n’aurait pas pu, de toute façon, dit la femme qui rejoignait l’homme. Les prêtres ne l’auraient pas laissée faire.
Je baissai la tête et l’homme profita de son avantage.
-Vous avez tué des gens valeureux, vous osez vous pavaner dans cette ville où ils ont vécu, et... Et je ne comprends pas comment le roi peut…
La femme pressa son bras, le faisant taire avant qu’il ne lâche une parole malheureuse sous l’effet de la colère. Un badaud, attiré par la dispute, vint s’appuyer contre l’arbre le plus proche.
-Laissez-la, dit-il d’une voix lente. Elle entre pas dans la Cathédrale, elle est paumée, elle fait rien de mal, là.
-Vous la défendez ? s’exclama la femme en pivotant vers lui, les mains sur les hanches.
L’autre haussa les épaules, rajustant son large chapeau.
-Ouais, je sais, elle a été contrôlée par Arthas pour tuer des gens, revient ici et doit pas être super à l’aise vu que c’est une draeneï, mais c’est sûr que les Paladins ont le droit de la faire partir comme ils veulent…
En voyant le visage du Paladin en question s’empourprer, j’intervins.
-Sire, dis-je rapidement à l’homme, merci de prendre ma défense mais s’il vous plaît, n’intervenez pas. Je ne veux pas… provoquer de discorde entre vous…
-Du calme, ma belle, lâcha l’homme en tournant son visage caché par son chapeau vers moi. Je prends pas ta défense, et tu sens la mort à dix pas. Mais faut qu’ils arrêtent de croire que la place leur appartient…
Il repartit. Il y avait quelque chose de curieux dans sa démarche ; il ne marchait pas droit mais de travers, marmonnant tout le long.
La seule personne qui avait un instant semblé exprimer un autre avis que le dégoût à mon sujet était un ivrogne. Je sentis mes épaules s’affaisser et laissai l’homme en face de moi éclater, faisant venir plusieurs autres personnes dont un elfe de la nuit qui recula en me voyant, et une naine qui soupira en voyant l’attroupement.
-Ça vous dérange pas de provoquer autant de bazar sur cette place ? dit-elle d’une voix forte.
Les gens se retournèrent sur elle.
-Vous vous plaindrez moins d’eux quand ils vous auront sauvé la vie sur un champ de bataille, dit-elle calmement. Dégagez de mon chemin.
Elle éparpilla les spectateurs à l’aide d’une masse solide et vint jusqu’à moi.
-Demoiselle, dit-elle en parlant à voix basse, vous venez sans doute d’arriver. Alors écoutez-moi : n’entrez jamais dans la Cathédrale, et sur la place… faites-vous discrète, venez pas à l’heure où les Paladins arrivent pour prier. Là, je vous conseille de partir.
Son ton était froid, mais pas spécialement menaçant. Je hochai la tête et me relevai, une main posée sur mon arme, par réflexe – l’homme était toujours là, et toute son attitude clamait que j’avais intérêt à faire attention. Je relevai la tête. J’étais peut-être isolée et coupable, mais je savais que je pouvais le faire taire en un seul combat définitif.
-Vous ne me connaissez pas, vous ne savez rien de ce que moi et les miens avons enduré, dis-je en me rapprochant de lui.
Il recula malgré lui, acculé contre un tronc.
-Chaque jour, je sens passer dans mes veines les agonies que j’ai provoquées et l’envie d’accéder à la vraie mort, poursuivis-je. Ne nous méprisez pas. Vous vous mettriez à dos une force implacable sur un champ de bataille. Dans mon cas… je ne veux que retrouver quelque chose…
Je levai la main lorsque, encore courroucé, il voulut parler.
-Et ensuite, vous n’aurez plus à supporter ma présence, terminai-je. Je me jetterai sur mon arme ; cela vous convient-il ?
Le silence était pesant. Sentant mes lèvres trembler devant l’animosité générale, je tournai les talons. Je me sentais faible – le rejet de tous ces gens n’aurait pas dû autant me toucher – mais qu’y pouvais-je ? Je voulais tant retrouver ce dont la mort m’avait privée…
Troublée, je rabattis ma capuche sur ma tête, étouffant un sanglot humiliant. Je sentis une pression sur ma main et me retournai.
L’homme au chapeau n’était pas parti ; il me fit un clin d’œil et sembla s’endormir, assis sur son banc.
Complètement fou, me dis-je en pressant le pas, sentant mon corps se plier en deux.
Exclue des vivants, exclue par la Lumière, soi-disant admise comme ancien champion et rejetée par tout ce qui aurait pu m’aider à reprendre pied. Quelque part, je les comprenais, et c’était ça le pire. Mais aurais-je ainsi condamné quelqu’un de souffrant à l’isolation totale, renforçant sa culpabilité ? J’étais si confuse !
Je courus hors de la ville récupérer Shalith.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:41

VII- L’Offre

« Ce sont des actes qui ne s’oublient pas, mais nous ne devons pas nous détourner de notre cause ! » Généralissime Tirion Fordring


Des heures et des heures entières de chevauchée me furent nécessaires pour m’apaiser un peu. La colère, qui aurait pu survenir, se serait sans doute accompagnée d’une poussée de Faim, et j’avais tout sauf besoin de cela.
Pourtant, je ne renonçai pas ; je m’en voulus un peu d’avoir réagi si brusquement avec le Paladin humain, tout en sachant très bien que je n’aurais pas pu faire autrement. Je revins donc à Hurlevent, évitant la place de la Cathédrale aux heures où je pouvais déranger. Je m’installais alors souvent derrière, près du cimetière et du lac ; j’y trouvais une certaine forme de sérénité. J’y passais beaucoup de temps à réfléchir, à tenter de me souvenir, calée entre la Lumière et la mort.
Je continuais de me demander à qui je pourrais m’adresser pour recevoir une aide. Qui donc accepterait de fouiller des archives inutiles dans des sous-sols pour un monstre ? Personne. Les jours passaient, froids et mélancoliques. Quand la Faim me prenait vraiment aux tripes, chose rare et que je tenais assez bien, je filais parfois aux prisons. Cela aurait sans doute choqué les citoyens mais arrangeait les gardes ; j’exécutais les sentences, m’enfonçant encore un peu dans mon dégoût de moi-même. Et pourtant, si je m’étais retenue, cela aurait fini par éclater en pleine ville, aucun doute. Tout plutôt que de provoquer un massacre aveugle sur une place sacrée. Rien que l’idée de perdre ainsi le contrôle me donnait des frissons.
Une fois, alors que je revenais des geôles, je passai par la place ; c’était le soir, et la lumière très douce du couchant baignait les pavés, les pierres des bâtiments, jouait entre les tours. Je marchais lentement, mon arme nettoyée dans mon dos, mon capuchon abaissé. Il n’y avait presque personne. Je m’assis sur un banc et contemplai l’entrée de la Cathédrale, où je n’avais pas le droit d’aller, et joignis les mains sur mes genoux en baissant les yeux. Ce soir-là, je tentais essentiellement de me rappeler de mon peuple ; j’en croisais parfois quelques rares représentants de loin, que généralement je fuyais, honteuse et triste. J’étais seule – si seule.
-Bonsoir.
Je relevai la tête. Une voix masculine m’avait faite émerger de mes idées. Elle émanait d’une personne qui, lorsque je l’identifiai, me fit me lever, prête à m’en aller. C’était un draeneï, un homme solide, au visage serein et doux ; il portait des vêtements simples et une cape chaude. Pourtant, l’emblème qu’il arborait sur celle-ci ne trompait pas : c’était un Redresseur de Torts. Le terme me vint très naturellement, ce qui me perturba un peu.
-Bonsoir, murmurai-je.
Il s’arrêta soudain à deux ou trois mètres de moi, ayant sans doute repéré les volutes runiques de mes yeux, ma peau glacée, mon arme. Je me statufiai, complètement immobile, pétrifiée. Qu’allait-il faire ? M’insulter ? Me rejeter ? Crier ? Partir ? Le silence s’éternisa ; je n’osais même plus respirer. Je percevais par contre son souffle à lui, profond et juste un peu trop rapide.
-Par les Naaru, marmonna-t-il, c’était donc vrai, cette abomination a aussi touché certains des nôtres.
Je permis à mon corps de se relaxer un tout petit peu et relevai à peine mon visage. J’osai regarder le sien. Il était empreint de chagrin et d’une sorte d’écœurement.
-Quel est votre nom ? dit-il sans avancer.
-Reveli, murmurai-je.
-Trelaan.
De nouveau le silence. Je ne le supportais pas.
-Je vais quitter la place, dis-je rapidement. Excusez-moi d’avoir… de…
-Paix, dit-il doucement. Certes, votre état m’inciterait plutôt à vous demander de fuir loin de ce lieu… Mais vous êtes une draeneï et d’après votre attitude, ne semblez pas l’avoir oublié.
-Là est le problème, chuchotai-je.
-Que voulez-vous dire ?
Je fermai les yeux une courte seconde et m’assis à même le sol. Puis je retirai mes lourdes épaulières, mes gants épais, me rendant plus vulnérable mais moins proche de mes souvenirs de Chevalier de la mort.
-J’ai subi quelque chose d’atroce, nous sommes certainement d’accord sur ce point, dis-je lentement. J’ignore comment font mes semblables pour tenter d’aller de l’avant. Ma simple existence représente un tel sacrilège qu’il me semble impossible de continuer de… vivre.
Il hocha légèrement la tête, s’assit sur le banc. Je regardais au loin, vers les marches de la Cathédrale, baignées des tout derniers rayons orangés.
-Je ne peux que souhaiter d’en finir, poursuivis-je. Vraiment. C’est intolérable, inimaginable, il est… ce n’est pas envisageable de poursuivre ainsi. Pourtant, j’ai perdu une grande partie de ma mémoire. Ma mémoire de vivante. Des mots me reviennent, naturels, des images floues, mais rien de concret. Je ne sais même pas si j’ai une famille, si je suis capable de parler dans notre langue.
-Vous l’êtes, dit-il d’un ton très bas. Nous parlons dans notre langue depuis tout à l’heure, Reveli.
Ses mots me figèrent ; je les répétai dans ma tête, faisant rouler leur sonorité, l’accent, les inflexions un peu chantantes. Malgré moi, je sentis un air d’émerveillement se former sur mon visage.
-Oh, soufflai-je.
Des larmes me montèrent aux yeux. Trelaan détourna le regard tout en se tournant à demi vers moi, l’air indécis et mal à l’aise. Je me ressaisis et gardai par-devers moi mes émotions.
-Y aurait-il moyen pour vous de retrouver ce que vous cherchez ? me demanda-t-il enfin.
-La Cathédrale de la Lumière comporte des sous-sols dans lesquels se trouvent des archives. L’une d’elles comporte peut-être un dossier me concernant. Il y aurait les noms de mes parents, mon nom de famille, d’où je viens, où j’ai été affectée quand je suis partie me battre…
-Vous espérez donc que voir cela ramènera vos souvenirs à la surface.
Je lui souris, heureuse qu’il comprenne. Il sembla plonger dans ses pensées quelques instants.
-Que ferez-vous ensuite ? murmura le draeneï.
-Je trouverai le moyen qui me correspond le plus d’en finir avec la non-mort.
J’avais prononcé ces mots en les pensant d’une manière absolue, ce qu’il dut sentir, puisqu’il me contempla d’une autre façon.
-Je vois. Eh bien, Reveli, je devrais être à même de pouvoir vous apporter ce document.
Je le fixai, écarquillant les yeux.
-Vous pourriez ? répétai-je.
-Je ne vous promets rien. Mais c’est peut-être à ma portée.
Je ne sus que dire ; les remerciements semblaient superflus.
-Pourquoi ? dis-je tout doucement. Pourquoi feriez-vous cela ?
Trelaan garda un peu le silence, les mains jointes, les yeux mi-clos. Priait-il ? Je l’enviais…
-Je sais fort bien les actes que vos semblables avez commis, dit-il, et je ne peux que les déplorer. Les massacres perpétrés par les Chevaliers du Roi-Liche sont inqualifiables.
Ma douleur sagement enfouie revint me dévorer de l’intérieur à ces mots, mais je la gardai bien cachée et continuai d’écouter.
-Je n’oublie toutefois pas que vous êtes à la fois bourreaux et victimes. De plus, Reveli, vous poursuivez un but que je qualifierais de noble. Je ne peux pas vous offrir la rédemption, mais je peux vous y mener. Quand vous aurez retrouvé tout ce que vous cherchez, je vous dirais donc d’aller voir A’dal.
Le nom qu’il avait prononcé ne me disait rien, mais quelque chose de doux et de trouble s’agita dans les méandres de mon esprit. Je secouai lentement la tête.
Il faisait presque noir, à présent. La nuit englobait tout, et un vent léger souffla dans les ruelles. Trelaan se releva lentement.
-Où pourrais-je vous retrouver ? demandai-je rapidement en faisant de même.
-Je vous retrouvai.
Je me retins de faire la moue – c’était déjà tellement plus que tout ce que j’aurais pu espérer.
Trelaan s’éloigna d’un pas vif. Moi, je restai là des heures peut-être, à attendre que l’astre solaire se relève, éternel vainqueur des ténèbres.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:42

VIII- L’Hésitation

« Il n’y aura pas d’expiation pour nous. » Généralissime Darion Mograine



J’ouvris les yeux.
J’avais réussi à m’assoupir. C’était rare, inutile et précieux pour nous. Echapper à la réalité atroce quelques heures. Il était d’autant plus difficile d’en émerger.
Pas de rêve. Juste, au réveil, encore son visage, qui m’était apparu quelques secondes ; les prunelles éternellement bleu marine, avec ces paillettes dorées ici et là, les longs cils noirs. Je restai ensuite allongée, à fixer l’envers du toit sans bouger. Je repensais à une femme pauvrement vêtue que j’avais tuée et j’avais mal.
Je songeais aussi au draeneï que j’avais croisé. Ç’avait été déstabilisant et tendu de rencontrer un homme de ma race ainsi. Pourtant, après coup en y repensant, cela ne provoquait pas de douleur ou de regrets. J’avais parlé avec un draeneï ! Sa peau était plus bleue que la mienne, bien trop blanche. Ses yeux lumineux, la peau dure de son front et sa chevelure blond foncé qui coulait en mèches derrière les tentacules épais, les sabots et la voix rassurante… Je fermai de nouveau les yeux pour le revisualiser. Avais-je vraiment parlé dans ma langue natale avec lui sans m’en rendre compte ?
Plusieurs soirs de suite, je m’étais encore rendue à la Place de la Cathédrale. Hélas, personne n’était venu. Je ne doutais pas de la parole du draeneï, mais une certaine angoisse me pressait de plus en plus. Dans les moments où je perdais espoir, je me souvenais de ses paroles les plus vraies et les plus dures. Hantée par les hurlements qui revenaient régulièrement m’oppresser, j’avais déjà dû aller soulager la Faim plus vite que prévu sous peine de perdre mon contrôle sur moi-même.
J’avais tenté, comme d’habitude, d’analyser les termes de la conversation qui avaient cette saveur à la fois connue et lointaine. A’dal, Exodar, je tentais de retrouver le sens et la valeur des mots sans pouvoir faire mieux que les effleurer.
Je restai là de longues heures, jusqu’à ce que les poutres noires me rappellent celles d’une mine où nous avions acculé des combattants pour les tuer.
Je me relevai et rattachai solidement ma cuirasse, relevant mon capuchon pour cacher mon visage. J’accrochai ma hache dans mon dos après en avoir vérifié les runes ; ma cape la recouvrait partiellement.
Je sortis de l’auberge rapidement et me mis à marcher dans les rues. La fin de cette après-midi semblait calme ; le ciel gris perle émaillé de coins bleus promettait encore quelques heures sans pluie. Je déambulai sans but précis, jusqu’à me retrouver sur le terrain libre d’accès où n’importe quel combattant de l’Alliance pouvait s’exercer. Je regardai avec curiosité les mannequins. Il y en avait quelques-uns de paille et de bois léger, d’autres renforcés de fils de fer, d’autres encore en lourde plaque voire enchantés ou automatisés. Je m’avançai pour les regarder. Il y avait peu de monde dans le coin ; une femme en armure, plus loin, apprenait à un jeune à bien tenir une épée, et sur ma gauche, un nain frappait à intervalles réguliers un mannequin à l’aide d’un marteau d’entraînement.
-Regardez qui voilà.
Je m’immobilisai, avant de tourner très lentement la tête. Derrière mon capuchon, les personnes qui venaient d’arriver ne pouvaient pas discerner mon visage, mais identifier ma hache suffisait pour me reconnaître. L’arme d’un Chevalier de la Mort est plus fiable que son visage pour en apprendre sur lui.
-Un combat amical, Arath ? dit la même voix forte.
-Pourquoi pas, répondit une autre voix masculine mais plus feutrée.
-En voilà un guerrier noble et courageux !
La remarque m’était évidemment destinée. La nuance de défi était tellement perceptible chez l’homme que je n’eus pas de mal à reconnaître le Paladin qui, des jours auparavant, s’était tant énervé contre moi. Il se mettait en place à présent, face à un homme blond qui rabattait son casque sur son visage. Ce dernier n’attendit pas et bondit pour percuter son camarade, qui l’évita de peu et cria quelque chose, une incantation ou une prière puisque sa main droite d’enveloppa de lumière dorée et grise…
Douleur et feu. Je détournai soudain le visage, une main crispée sur ma hanche, sans rien dire. Avais-je été visée ? Une seconde attaque brûlante, atténuée par la solide armure que je portais, me fit reculer d’un demi-pas. Je relevai les yeux pour regarder le Paladin. Celui-ci était concentré sur son adversaire, qui donnait des frappes puissantes et rapides.
Non, il n’avait peut-être pas f ait exprès, me dis-je au moment où il relançait son châtiment de Lumière, me touchant bien plus que l’autre homme qui se redressa et recula.
-Ce n’est pas digne de toi, tu sais, dit ce dernier à voix basse.
-Digne ? Avec quoi ? Cette meurtrière décédée ?
Les mots percutèrent mon cœur, mais je gardai un visage impassible.
-Si elle…
-Dame ? l’interrompit le dénommé Arath en me regardant directement.
Surprise qu’il s’adresse à moi, je ne bougeai pas, restant cachée sous ma capuche, mais répondis doucement.
-Oui ?
-Accepteriez-vous un combat amical avec mon camarade ?
L’autre releva vivement la tête ; visiblement, il appréhendait la proposition d’Arath mais ne pouvait pas se défiler. Je me sentais un peu pareil, mais pour d’autres raisons. Je me pensais capable de le battre, mais le problème n’était pas là. Je risquais de le tuer, et la peur que ma Faim revienne était prégnante. J’avais déjà mené beaucoup de duels amicaux, mais contre mes pairs… Qui d’ailleurs, s’ils étaient là, me souffleraient sans doute d’en profiter pour lui montrer un peu de quoi nous étions capables.
-J’accepte, répondis-je enfin.
-Moi de même, gronda aussitôt le Paladin en se redressant.
Je demandai d’un geste une seconde de patience et examinai mon armure, pas trop abîmée. J’utilisai un peu de mes pouvoirs de givre pour geler ma blessure et entourer mon bassin d’une fine gangue de glace protectrice. Puis je dégainai lentement mon arme.
Sitôt qu’elle fut au bout de mon bras, prolongement de celui-ci, j’oubliai les autres autour. Il n’y avait plus rien que mon adversaire et moi. Mes yeux se plissèrent, j’examinai son armure et ses mains promptes à lancer bénédictions et châtiments. Il cassa à peine le buste pour me saluer, je saluai d’un mouvement souple, puis reculai un peu.
Je ne le laissai pas lever sa lame. Avec l’aisance que confère l’habitude, je me concentrai rapidement et utilisai une poigne de la mort pour le tirer à moi. Des liens sombres jaillirent de ma paume gantée pour le projeter ; sans le laisser comprendre, j’assenai un large coup, fendillant sa cuirasse. Il secoua la tête, poussa un rugissement, chercha à balayer mes jambes d’une longue frappe de son épée lourde. Je la bloquai simplement ; il commença à incanter. Je soupirai et l’étourdis d’une rafale glacée ; le givre reprenait ses droits dans mon corps, la puissance runique venait à mes paumes, j’étais puissante, je n’étais là que pour…
Non, non, Reveli, non ! Je secouai la tête. Tout ça était fini. Je ne me battrais plus jamais pour le monstre qu’était le Roi-Liche, plus jamais, plus jamais. Puissante, je l’étais, mais plus à cause que grâce à lui. Il fallait que je m’éclaircisse les idées… Le sang de l’homme ne m’y aidait pas… Son sang ?
J’avais continué mes attaques ; et une longue balafre barrait son bras. Elle n’était pas bien grave, mais m’en rappelait des centaines d’autres. C’était moi qui l’avais causée, encore une fois.
-Meurs enfin ! s’écria-t-il en lançant sa lame droit sur ma poitrine.
J’aurais pu la dévier, mais pour quoi faire ? Je regardai la pointe érafler la saronite puis l’enfoncer, causant une lésion interne certaine. La douleur me parvint comme au ralenti. Il invoqua quelque chose, une lumière, qui referma sa chair ; puis il frappa encore et encore, sans que je ne cherche à faire plus que dévier.
Je n’avais pas de raison ni le droit de l’attaquer, me répétais-je vaguement sans savoir pourquoi, soudain ; mais surtout j’avais peur de moi et de mes réactions, de l’éventualité terrible de ma perte de contrôle. J’étais si méprisable. Et n’était-il pas un combattant de la Lumière ? Un vivant ? Il était forcément plus digne que moi…
-Tu vois, Arath ? Incapable ! Indigne de fouler cette terre ! Tous ces morts-vivants ne peuvent pas exister, c’est une injure faite à la Lumière ! Et le Roi veut que nous nous battions à côté de ces meurtriers ?!
C’est ce que j’étais, aucun doute. Indigne, morte-vivante, meurtrière. Mais Shalé, Galeo, Elvyr, tous mes frères et sœurs, étaient-ils si méprisables ? Je regardai l’homme plein de rage face à moi, alors que je restais calme. Etait-il, lui, digne de la Lumière ? Elle seule pouvait me juger, soufflait une voix dans mon cœur.
Je contrai son énième coup. J’avais négligé mon corps, aucun doute ; de larges entailles s’ouvraient, et il allait falloir que je répare ma cuirasse.
Je maintins la pression contre son épée sans trop d’efforts, me redressant au fur et à mesure. Une fois que je fus droite et lui courbé, grimaçant pour tenir le coup, je rompis brutalement l’engagement en bondissant en arrière ; puis je tendis la main loin devant moi, m’inclinant à demi sous l’influence du sort que je lançais. Le givre, impétueux, hurlant, se rua et emprisonna les pieds puis les jambes de l’homme. Je tournoyai une courte seconde sur moi-même, prenant un élan pour abattre ma hache sur la glace, la brisant et le faisant chuter, la moitié du corps engourdie par le froid. Je ne le laissai pas incanter et de l’autre bout de ma hache, frappai son torse, le projetant à terre. Mon arme se pointa sur sa gorge, pendant au bout de mon bras tendu.
J’abaissai d’une main, lentement, mon capuchon. Ma chevelure blonde claqua dans le vent qui se levait ; je braquai mon regard sur le Paladin qui n’étouffait plus de rage. Il me regardait en face, et ses yeux brillaient un peu trop. Pour ces larmes contenues, qui paraissaient dues à autre chose qu’à sa défaite, je retins toutes les paroles qui brûlaient mes lèvres. Je reculai d’un pas, doucement. Tout était silencieux. Arath ne disait rien. Je ne regardais personne d’autre que l’homme étendu.
Après quelques secondes, je partis tout à coup, tête basse sous la pluie qui commençait à tomber, mon arme lourde au bout de mon bras. Je marchai jusqu’à la Place, m’interrogeant sur l’expression du Paladin étendu à terre, gelant mes blessures d’une main pour les maintenir en état en attendant de pouvoir être soignée.
Et si le draeneï était là ? m’interrogeai-je soudain, cette question ajoutant une nouvelle dose d’émotions dures à gérer. S’il me disait que j’avais une famille ? Devais-je vraiment le savoir ? N’étais-je pas juste faite pour aider les miens puis disparaître ? N’en voulais-je pas trop ? Qu’est-ce que cela changerait ? Que faire ? Je levai mon visage vers le ciel, désespérée.
Si seulement j’avais pu prier…
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:44

IX- Le Déferlement

« Ce sont les feux intérieurs qui sont les plus brûlants. » Alexstrasza



La soirée s’annonçait calme. Le ciel se paraît de quelques volutes blanches, mais l’essentiel de la voûte céleste restait d’un bleu profond qui pâlissait petit à petit. Il y avait peu de monde à la Place ; la plupart des passants me regardaient d’un air dégoûté, furieux ou effrayé. J’en étais toujours aussi mortifiée que d’habitude et baissai les yeux. En voyant mes genouillères gravées de décorations funèbres et brillant d’un noir menaçant, je frémis. Il faudrait que j’achète une autre tenue, plus simple ; ma cuirasse était par trop identifiable, je devrais la réserver aux combats… Certes, j’aurais toujours ma faux sur moi – impossible de m’en passer – mais ce serait mieux que rien.
Quand je relevai la tête, mon cœur mort bondit dans ma poitrine. Un draeneï sortait de la Cathédrale, descendant lentement les marches dans ma direction. Je reconnus Trelaan et inspirai profondément. Le draeneï s’approcha tranquillement, un lourd volume relié à la main.
-Bonsoir, me salua-t-il en restant un peu à distance.
-Bonsoir, Trelaan, répondis-je en tentant d’éradiquer, en vain, l’écho métallique de ma voix.
-Vous semblez blessée.
Il désigna les entailles sur mon corps ; j’en avais gelé quelques-unes, mais je ne devais pas être en très bon état quand même.
-Voulez-vous que je vous soigne ?
Son ton était doux, confiant. J’étais effrayée à l’idée de lever le voile sur mon amnésie, et d’un autre côté, il fallait que je le fasse, et ma peur se teintait d’impatience. Pourtant, j’acceptai de retarder de quelques minutes la découverte de ce que le Redresseur de Torts avait trouvé – ou non après tout, je n’en savais rien – à mon sujet.
-D’accord, dis-je à vois basse. Je… merci.
-Par contre, dit-il en posant son livre sur le banc, j’ignore les effets que pourraient avoir la Lumière sacrée…
-Même si j’en souffre, ce ne sera rien, dis-je aussitôt.
Ce serait même un juste châtiment ; souffrir par la Lumière ne me semblait pas être vraiment souffrir.
Le draeneï ferma ses yeux à demi, puis murmura quelques mots dans notre langue maternelle. Ses paumes ouvertes commencèrent à luire, puis à étinceler ; la lumière, dorée, les baigna enfin, comme un halo perceptible. Il me regarda, puis projeta dans ma direction son rayon lumineux.
Je sentis quelque chose de chaud et de doux m’envelopper… rentrer dans ma peau… Me brûler. Ça irradiait ! Je gémis, mains pressées contre mon ventre ; je ne m’étais pas attendue à une telle douleur. Pourtant, les entailles se refermèrent, la peau se scella de nouveau, et finalement ne restèrent comme signes du combat que j’avais mené que ma cuirasse fendillée. Je relevai les yeux en soufflant pour évacuer la douleur.
-Reveli ? Tout va bien ?
-Oui, ça va… ça va aller, merci, lâchai-je.
Si mes souvenirs froids étaient bons, je ne lui avais pas dit mon nom, la dernière fois. Il avait donc…
-Vous avez eu accès aux documents dont je vous avais parlé ?
Il hocha lentement la tête. Je sentis une douleur différente monter dans ma poitrine, lancinante, mêlée d’espoir.
-Je ne vous dis pas que ça a été évident d’emprunter les registres, mais j’ai pu obtenir ce dont vous aviez besoin. Votre fiche n’est pas bien longue, mais peut-être cela suffira-t-il à ce que vous recouvriez la mémoire et puissiez ensuite faire enfin les bons choix ?
Il reprit le livre en main, l’ouvrit à une page cornée et me le tendit. Je l’attrapai d’une main un peu tremblante.
-Merci… merci, merci, répétai-je sans parvenir à articuler autre chose.
Je posai doucement le volume sur mes genoux en m’asseyant, puis baissai les yeux dessus. Les pages, entre les couvertures épaisses, semblaient un peu fanées, le papier était fin sous mes doigts. Il y avait une déchirure à un endroit.
Mon nom était inscrit sur la page de droite.
« Reveli Naari. » Mes yeux firent la navette entre plusieurs mots, désespérément avides de termes faisant sens pour moi.
« Draeneï. »
« Outreterre. »
« Exodar. »
« Parents. » « Voyage. » « Fiancée. »
« Formation Paladin. »

Si je ne m’effondrai pas en larmes ni ne tentai de mettre fin à ma vie immédiatement, ce fut uniquement parce que premièrement, j’étais devant une Cathédrale de la Lumière, mais qu’en plus un draeneï était à mes côtés. Je ne voulais pas lui infliger ce spectacle, ni me rabaisser ainsi à ses yeux. Sans compter que mon entraînement m’incitait plus à contrôler strictement mes sensations et à ne jamais me montrer vulnérable, même si en cet instant, il m’était sorti de l’esprit.
Un demi-milliard d’images violentes, colorées, floues, sifflantes me giflèrent. Des claques. Des frappes mentales et des revers presque physiques à faire hurler n’importe qui. C’était tellement étrange – des souvenirs qui n’en étaient pas – ils ne revenaient pas, ils semblaient tous avoir toujours été là, baignant mon esprit – et d’autres se rejouaient sous mes yeux ; je revivais des séquences d’une vie que j’avais définitivement perdu. Je m’efforçais de trouver un ordre, dans cet enchevêtrement de choses.
Une maison près d’une forêt – Shattrath, Shattrath la magnifique – un enfant qui courait – des fleurs, une robe bleue entre mes mains – des bras solides qui me soulevaient, mes petits pieds étaient encore maladroits – un feu de bois – une prière avec du monde, beaucoup de monde – des pleurs, quelqu’un qui console – et mon rire, mon rire qui s’élevait, qui résonnait, musical, franc, joyeux.
La douleur. Une de mes cornes abîmées, un coup de couteau dans mon flanc et une main inconnue qui arrachait un pan de ma robe. Libérée. Evanouie. Réveil sur un chariot. Quelqu’un manquait. Mon ami. Des amis. Des pleurs, partout, du sang. Un soin rapide ; je refusais d’être soignée plus, d’autres en avaient besoin avant moi… Mes parents qui me regardaient avec inquiétude. Voyage. Long. Je courais partout, je chantais, je restais avec ceux qui souffraient. Une draeneï me disait qu’elle aimait m’entendre rire, que je lui donnais des raisons d’espérer.
Douleur encore, j’étais indemne mais mon père… Non, pas mon père, je vous en supplie – un bras abîmé. Juste le bras. La marche. Et puis… c’était de plus en plus flou… Nous partions. Vaisseau en ruines. « Laissez-moi vous accompagner. »
Et puis, du noir.
Un mur. Encore.

-Reveli ? Reveli, vous m’entendez, ma sœur ?
-Je suis là, murmurai-je.
J’étais toujours debout. Figée. Entendre ma voix métallique me fit mal. Mon corps était glacial, je percevais la volute bleue runique de mes yeux morts.
-Reveli ?
L’inquiétude dans la voix de l’homme me força à me détourner de ce qui torturait mon esprit. Je devais lui répondre.
-Je… Je me suis souvenue, mais… pas de tout.
-Ça viendra, je suppose, murmura le Redresseur de Torts. Puis-je savoir de quoi…
-Je m’appelle Reveli Naari.
Prononcer mon nom était apaisant. Je renouais avec quelque chose. Une sorte d’urgence mêlée de peur imprégna tout mon être.
-Je vivais près de Shattrath. Ma mère… Ma mère a les cheveux d’un blond si clair qu’on le dirait blanc… J’apprenais à monter les elleks. Je voulais suivre une formation de Redresseuse de Torts… c’était dur, mais j’aimais me sentir utile. Je n’étais pas forte en combat, ni en soins. Mais j’encourageais…
Une double voix dans ma gorge. C’était aussi mon rôle en tant que Chevalier de la Mort.
-Et puis, les orcs, je crois, ajoutai-je très vite, presque aveuglée par les images qui continuaient de défiler. Nous avons fui, je… j’avais peur, peur pour les miens.
Un contact chaud et doux me surprit ; le draeneï avait posé sa main sur la mienne, sans me regarder directement. Je ne me demandai pas ce que cela signifiait. Parce que mon peuple ne pourrait jamais voir quelqu’un souffrir et y rester insensible, et encore moins l’être en voyant quelqu’un évoquer une catastrophe qui nous avait tous horriblement touchés.
-Mes parents étaient techniciens. Ils ont été vite sollicités pour l’Exodar, mais nous manquions de matériaux, c’est vraiment… immense et inconnu, ce sont les Naaru qui nous l’avaient… Ils ont voulu partir. Voir si sur Azeroth, des outils, des métaux, des minerais, n’importe quoi… pourrait les aider… J’ai voulu les accompagner. Et… et puis…
Le mur noir. Plus rien.
Je me voyais marcher avec mes parents. Quitter le vaisseau. Je fronçai les sourcils, je remontai le courant de mes souvenirs. Je me souvenais de moi en train de pleurer, sourire, aider, prendre quelqu’un dans mes bras… D’accord, mais après ? Partir avec mes parents, les supplier de me laisser les accompagner – j’étais curieuse, joyeuse. Heureuse de vivre.
Que m’était-il arrivé ensuite ?
-Reveli ? dit tout doucement le draeneï. Comment êtes-vous allée en Norfendre ensuite ? Vous êtes bien morte sur un champ de bataille là-bas… C’est indiqué, il me semble.
Je regardai de nouveau le document militaire. Oui. J’avais été dans le nord. Quand ?
-Je ne sais pas ! chuchotai-je, effarée.
-Comment cela ?
-Quelque chose me manque… Je suis venue loin avec mes parents, je… non, non, il y a autre chose ! Il y a forcément autre chose !
Je m’étais mise à crier, frappant du sabot par terre ; des larmes roulaient sur mes joues, mon arme se fit pesante dans mon dos, ne demandant qu’à être dégainée contre un ennemi quelconque. Je l’attrapai et la jetai sur le sol. Ce fut douloureux – éloigner ma hache runique de moi ; mais elle me révulsait.
-Reveli, vous étiez fiancée, me rappela Trelaan. A qui ?
-Fiancée ? répétai-je. Mais non…
Ma mémoire était là ; j’étais de nouveau moi-même, mais seulement à moitié. Quel déchirement…
Je réfléchis. Rien. Je n’étais pas fiancée. La seule explication était que cela était arrivé pendant cette période dont je ne me souvenais pas.
Soudain, le visage de l’homme revint me rendre aveugle. Ma vision me priva de tous mes sens, je ne pouvais que contempler les grandes prunelles bleu marine, qui me contemplaient en silence.
Dès que j’eus récupéré ma vue, je regardai une dernière fois le registre. La déchirure avait enlevé un mot au papier.
« Fiancée – à Hadrian […]»
Pas de nom de famille. Je ne connaissais pas cet homme.
Je ne l’avais pas retrouvé.
Je ne m’étais pas retrouvée.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:46

X- Le Voyage

« Rien n'aurait pu me tenir à distance […]. Pas de ma famille et de mon foyer. » Généralissime Alexandros Mograine



J’étais assise au fond d’une large barque à demi couverte par un toit de bois fendillé. Je gardais les yeux soigneusement baissés sur mes jambes croisées. Je me sentais un peu vulnérable, sans mon armure. Depuis combien de temps avais-je voyagé sans ma cuirasse solide ? Mais il était impensable d’entreprendre cette visite vêtue de l’habit coutumier des Chevaliers de la Mort. Alors, je m’étais rendue dans une boutique où l’on m’avait vendu une robe. Longue, noire, blanche et or, elle m’avait vite plu. Ainsi vêtue, je n’avais gardé que mon arme et mon capuchon, ainsi que ma cape, qui recouvrait ma hache aussi bien que mon visage. A moins d’être près de quelqu’un de sensible aux auras, j’étais normalement assez bien dissimulée.
Passer par les transports maritimes habituels était impensable. Il aurait fallu louer une place à bord d’un bâtiment elfique, et je savais fort bien ce que les elfes de la nuit pensaient des non-morts. J’avais plus de chances de passer par-dessus bord que de voyager tranquillement, sûrement.
Pourquoi faisais-je cela ? Je me posais la question seulement une fois quasiment à fond de cale… Cela m’était presque naturel. Une nécessité. J’avais besoin de revoir les miens. Je m’inquiétais pour eux. Comment se portait mon peuple ? L’Exodar avait-il été un peu réparé ?
Mes parents étaient-ils là ? Ils me manquaient. Ils me manquaient atrocement, alors qu’au mieux, je les verrais de loin…
Car je ne me montrerais pas. N’imposerais pas ma présence impie. J’avais manqué d’air quand cela s’était imposé à moi : mieux valait qu’ils me pensent complètement morte. C’était mieux ainsi, quand bien même leur chagrin devait être immense – perdre un enfant devait être une souffrance terrible, mais je ne leur en infligerais pas d’autre. Je me sentais déjà étrangement entre deux mondes, mal à l’aise, comme si j’agissais mal en ayant des préoccupations de vivante.
Quand la barque se stabilisa, finalement, je me décidai à sortir de là. Je versai le double du tarif habituel dans la paume du capitaine, qui recula sans rien dire et me laissa sortir.
La longue jetée de bois était déserte. Le bateau, derrière moi, repartit.
Je me mis à marcher, lentement. L’air était doux, peut-être un peu parfumé. Les bois alentours parvenaient à m’en rappeler d’autres, d’autres qui me manquaient ; le chemin, une éraflure propre tracée dans la terre bleu-verte, semblait long. Je m’autorisai à invoquer ma monture. Shalith piaffa un peu devant le paysage inconnu, mais je calmai rapidement ma jument.
-C’est beau, tu ne trouves pas ? lui murmurai-je en la sellant.
Je m’installai sur son dos en trois secondes, puis la fit passer au galop. Ma jument ne pouvait pas s’épuiser, et je n’étais pas pressée par le temps ; mais je me sentais angoissée, l’urgence me comprimait de toutes parts sans que j’en comprenne l’origine. Dès que j’aperçus des traces de civilisation, après deux ou trois heures de chevauchée paisibles, je descendis de Shalith et la renvoyai. Je me mis à marcher, le souffle un peu court, pas à cause de la marche dont je ne ressentais guère les effets, mais juste à cause de la pression que je me mettais. Si mon cœur avait été encore vivant, il aurait battu à tout rompre.
Quand je croisai une patrouille, je baissai encore plus la tête. Par chance, ils ne m’arrêtèrent pas pour me poser des questions ; ils semblaient aller quelque part, l’air un peu soucieux. Saisissant des bribes de mots au vol, je compris qu’une draeneï semblait s’être fait attaquer en lisière de la forêt. J’eus un mouvement instinctif en arrière pour courir les aider, avant de me rappeler que je ne ferais que les horrifier.
Même de là où j’étais, je voyais quelques panaches de fumée grise, fine, s’élever dans le ciel par à-coups. Evitant toujours un maximum le monde et les quelques elleks qui marchaient d’un pas lourd et confiant, je m’approchai de la source jusqu’à me statufier en l’apercevant.
L’Exodar était toujours là ; notre vaisseau immense et abîmé était enfoncé dans le terrain, des morceaux gisaient encore ici et là. Des draeneï entraient et sortaient, mais si j’écartais ma peur pour me forcer à réfléchir, je devais bien reconnaître qu’ils n’étaient pas nombreux. Mon peuple, mon peuple massacré… Nombre avaient dû retourner à Shattrath, sans doute. Ma gorge se serra.
Je me sentais plus seule que jamais.
Ce n’était pas juste. Ce n’était pas bien. Moi, dépourvue de toute velléité de vengeance, je ne pouvais pas retourner au Norfendre faire payer le Roi-Liche ; mais ce qu’il m’avait infligé, ce qu’il avait fait était si atroce que j’étais suffisamment désespérée pour souhaiter sa fin. Le jour où mes camarades m’apprendraient sa défaite ne serait pas un jour de deuil. J’avais entendu parler de deux autres draeneï en repassant par Acherus ; l’un était quasiment devenu fou, et avait couru droit vers ses anciens bourreaux pour mourir en se battant avec les gardes du Roi-Liche ; l’autre s’était suicidé à peine quelques heures après sa prise de conscience. C’était moi qui avais fait brûler un flambeau en leur honneur. Je n’avais laissé à personne d’autre ce soin. J’avais veillé une nuit et un jour, murmurant des paroles en draeneï rappelant Draenor, l’amour de son prochain, les plaines lumineuses et le ciel brillant, les rires des enfants et les prières à Shattrath qui rassemblaient tant de monde à la belle saison. J’avais promis à mes frères décédés que je les rejoindrais dès que je me serais totalement retrouvée ; sitôt cette promesse émise, la douleur avait été si forte, au-dedans de moi, que j’avais éclaté en sanglots. Effondrée à même le sol, je m’étais sérieusement demandé si je pourrais attendre ça. Attendre de retrouver cet Hadrian. Je céderais peut-être avant, trop faible.
Devant le vaisseau en pleines réparations des naaru, la question revint planer au-dessus de ma tête comme une menace. L’ignorant de mon mieux pour le moment, j’avançai, à pas de plus en plus lents. Je n’avais reparlé avec Trelaan qu’une fois, mais il savait où travaillent mes parents. Evidemment. Ma race n’était plus tellement nombreuse ; nous nous connaissions pratiquement tous. Je m’efforçais de ne pas tressaillir à chaque fois que j’avais l’impression d’identifier un visage.
Je contournai soigneusement l’Exodar, jusqu’à parvenir au flanc gauche, où quelques draeneï parlaient tranquillement autour de plusieurs paquets étranges – contenant visiblement des outils. Des ouvriers. Je reculai un maximum, contrôlant fébrilement si j’étais bien cachée. Un des draeneï serrait une femme contre lui, déposant un baiser dans sa nuque ; elle semblait un peu fatiguée. De là où j’étais, je ne parvenais pas à bien voir leurs expressions, mais je les reconnus immédiatement. Un uppercut dans mon thorax ; je me rendis compte que j’étais tombée à genoux, sans les lâcher du regard.
L’homme était d’une taille moyenne, la peau d’un bleu doux ; sa chevelure mi-longue, châtain clair, dégageait un visage aux traits légèrement sévères mais exsudant la bonté. Il avait un bras marqué d’une cicatrice.
La femme était petite, comme moi. Ses cheveux courts, blonds, étaient ramenés derrière deux cornes arquées, polies avec soin et ornées de petits bijoux. Elle avait toujours beaucoup aimé prendre soin d’elle, elle tenait ça de sa mère. Petite, j’aimais m’asseoir en m’agitant le moins possible, tandis qu’elle me coiffait ; quand j’avais été sage, j’avais parfois le droit de porter une ornementation dans mes ondulations blondes.
Autour de leurs yeux lumineux, de petits ridules, des stries minuscules rappelant le nombre de larmes versées. Ils avaient souffert. C’était inscrit dans leur chair, mais commun à tant d’entre nous…
Je guettai, tremblante, le moment où je ressentirais un élan. Où je me sentirais poussée en avant, où je voudrais me jeter dans leurs bras. Les miens me faisaient mal, mal de ne pas pouvoir les presser contre moi, leur parler.
Le moment ne vint pas.
Je regardai mon père et ma mère se relever et se pencher sur un plan avec d’autres, puis sur un grand morceau de cristal mauve. Ils étaient séparés de moi par une barrière invisible et pourtant on ne peut plus tangible. La vie et la mort ; la pierre tombale de mon jour de Réveil me tomba dessus, m’écrasant. Je n’avais plus rien à faire ici. Pire, c’était mal que je sois là. Je n’étais pas censée exister et encore moins perturber ceux que j’aimais par cette existence.
Un juste retour des choses, peut-être. Assumer. Ma faute terrible, mes crimes affreux n’étaient certes pas volontaires, à la base ; mais quelle importance ? Ces faits étaient établis et avaient été provoqués par ma main. C’était moi qui avais brandi l’instrument de la vengeance d’Arthas, tué, mutilé, fait souffrir. Une plainte s’échappa de mes lèvres, que j’étouffai de mon mieux. Comment faisaient les autres ? Comment tenaient-ils ?
Il était normal, logique que je ne puisse pas approcher les miens ; tout cela était contre-nature.
Le visage de l’homme que j’assimilai désormais à cet Hadrian s’imposa brutalement à moi. Sans prévenir.
Le regard me transperça. Il était intelligent, sans concession, et pourtant si chaleureux. Comme si je méritais que quelqu’un me regarde avec autant d’amour. Je parvins à me relever sans rien voir, et dès que je fus libérée, je courus, loin, jusqu’à être seule ; avant que des draeneï ne m’aperçoivent, j’invoquai un portail vers Acherus.
Je le traversai au moment où une voix m’interpellait.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:47

XI- La Carapace

« Votre armure n’est rien, votre foi encore moins. » Aile-de-Mort



La nécropole glaciale m’accueillit dans un flot de murmures morts. Je me mis à errer, mon arme pendant au bout de mon bras, le long des couloirs sombres. Il n’y avait pas grand monde ; quelques Chevaliers patrouillaient, mais ils ne m’interrompirent pas dans mes pensées.
Je longeais les parois, à peine consciente de mon environnement. Mon souffle devenait court, et une de mes mains était machinalement plaquée sur mon ventre. J’éprouvais des difficultés à marcher ; le monde entier semblait vaciller et pivoter autour de moi. Je n’étais pas dans l’œil du cyclone ; j’étais une particule perdue dans la tempête. Broyée. Destructible. Fragile.
Ne voulant pas offrir aux autres le triste spectacle que je devais donner à voir, je m’enfonçai dans les chemins les plus profonds sous le bâtiment, au cœur des labyrinthes de pierre noire à peine éclairés par des flambeaux magiques. Suffocante, je tins bons jusqu’à un large couloir totalement désert. Alors, je m’effondrai encore une fois.
Mes jambes se dérobèrent sous moi et mon dos heurta brutalement le mur. Tremblante, j’arrachai frénétiquement mes épaulières en plaque noircie, les décorations funèbres sur mes jambières, rappels de mes actes et de ma douleur. Je détachai ce qui entourait mes poignets et mes chevilles, lançai ma capuche au loin, ne gardant que de fins vêtements de cuir ébène sur moi ; mon armure gisait autour en morceaux balancés au hasard. J’étais plus légère ainsi, plus moi-même ; mais ça ne suffisait pas. Il aurait fallu m’arracher la tête pour bien faire.
Ma bouche s’entrouvrit pour laisser passer un cri étranglé qui ne sortit pas ; mes yeux, à présent peu faits pour pleurer, semblaient devenir aveugles à force de larmes retenues. Je ne voyais rien, rien à part les ténèbres, ma culpabilité, et tous ceux que j’aimais encore, qui me retenaient.
Je n’y arriverais pas.
J’étais incapable de faire ce que je m’étais promis d’accomplir. Il avait été utopique, présomptueux de ma part de prétendre exister encore après ce qui m’était arrivé. J’avais été utilisée, pervertie au-delà de l’imaginable ; un draeneï ne pouvait pas survivre à cela, et ce n’était pas une question de courage.
Je ne tiendrais pas le temps de me retrouver entièrement. La clé du mystère du visage de cet homme ne serait jamais à portée de main, parce que je ne pourrais pas entreprendre de voyage pour le retrouver. C’était au-dessus de mes forces. Il fallait que j’en finisse avec moi-même. Mon dégoût pour celle que j’étais me donna envie de vomir, si une telle chose était possible. A tâtons, toujours faible et secouée de spasmes, je cherchai ma faux runique du bout des doigts. Je finis par en trouver le manche, et la tirai à moi. Une plainte entrecoupée de sanglots serra ma gorge.
-Reveli !
J’inspirai brutalement, surprise, et tentai de reculer, mais j’étais acculée. Je ne pus que plisser les yeux pour tenter de voir qui venait d’arriver. Une grande silhouette, aux épaules larges ; une armoire à glace. Mak’tor. Mon frère humain avait posé ses mains sur ses hanches et me regardait, évidemment, de haut.
-Que fais-tu là ? lâcha-t-il.
Sa voix avait eu des accents de colère mêlés de peur. Je ne compris pas, mais m’efforçai de répondre. Des pleurs troublèrent ma voix malgré moi – j’allais les laisser, les abandonner, mes frères et mes sœurs, mes semblables.
-Ce n’est rien, mon frère. J’ai besoin d’être seule.
Son regard tomba sur mon armure runique éparpillée, puis sur ma main qui s’agrippait compulsivement à mon arme. Ses yeux s’étrécirent, tandis que flamboyaient encore dans son regard la peur et la colère. Je n’eus pas le temps de rouvrir la bouche pour dire quelque chose. Il fut sur moi en deux enjambées et attrapa brutalement mon bras gauche, le tirant d’un coup vers le haut et moi avec. Je me retrouvai plaquée contre le mur, mes sabots peinant à supporter mon poids. J’étais perdue, complètement.
-Mak’tor, dis-je en tentant de retrouver une voix qui ne tremblait pas, pourquoi...
-TU ALLAIS TE TUER ? cria-t-il, sa voix assourdie et répercutée autour de nous.
Sa poigne d’acier se referma encore autour de mon bras, le meurtrissant, et le tira une seconde avant d’aller se planter dans le mur dans mon dos. Le choc se fit ressentir dans tout mon corps.
-Mak’tor ! m’exclamai-je, choquée et effrayée, calme-toi !
Son autre main m’arracha mon arme et la balança au loin, avant de se plaquer sur mon épaule droite. J’étais clouée à la paroi.
-Tu me fais mal !
Des larmes coulaient en silence sur mes joues. Tout était assourdi ; il n’y avait plus rien, plus personne au monde, seulement ma mort, mon salut qui venait d’être encore éjecté… Et cet homme, mon frère, que j’aimais tant comme tous les autres, que je ne reconnaissais pas. Son corps froid comme le mien emplissait mon champ de vision, me barricadait, m’enfermait. Je n’avais pas de porte de sortie et j’étais incapable de songer à le blesser pour m’enfuir. Mon souffle se fit encore plus erratique, je commençai à paniquer.
-Lâche-moi ! criai-je d’une voix suppliante.
Le coup que je me pris en plein visage transforma la fin de ma phrase en plainte sourde. J’étais sûre d’avoir senti ma mâchoire craquer.
-Tu allais nous abandonner, siffla Mak’tor. C’est ça, hein ? TU ALLAIS NOUS LAISSER ? TU ALLAIS ME LAISSER ?
Il n’était pas en colère. Il était dans une rage terrible. Les seules fois où je l’avais vu ainsi, c’était lorsqu’il perdait un peu le contrôle de sa Faim ; et il la gérait moins bien que moi. Pour lui, pour toute la confiance que j’avais placée en cet homme, je retrouvai un peu de calme au prix d’un très grand effort.
-Mak’tor, murmurai-je sans résister à sa poigne. Je n’allais abandonner personne. Je… Je vous aime, vraiment. Tu sais que mon attachement va à la Lame d’Ebène. Mais je ne peux pas… Je ne peux pas rester, mon frère. Je ne peux pas ! criai-je soudain de nouveau, encore suppliante. Tu ne peux pas me demander ça !
-Je ne te demande rien, souffla sa voix métallique, je ne te donne pas le choix. Tu restes.
Son corps se rapprocha encore ; il était à quelques centimètres de moi, me coupant de plus en plus de mes espoirs de fuite et de salut.
-Laisse-moi, je t’en supplie, murmurai-je, tremblante, avant que ses mains ne se plaquent sur mes épaules pour les renfoncer dans la pierre derrière moi.
J’étouffai un gémissement. Il ne réfrénait pas sa force et la douleur était conséquente. Je tentai de soulever mes jambes pour les glisser sur le côté, de me débattre ; ma chevelure coulait en mèches ondulées sur mes épaules, me cachait la périphérie de ma vision. Je sentis plus que je ne vis ses mains serrer d’un coup ma gorge et mon bras droit, avant d’être projetée contre la paroi d’en face.
Je pris le choc de plein fouet et retombai à terre. Je n’eus pas le temps de tenter de me relever ; il m’attrapa tout aussi brutalement et me colla derechef au mur. J’ouvris les lèvres pour tenter de le raisonner, terrifiée. Il ne me laissa pas le temps de parler et son corps cuirassé se colla contre le mien. Son visage s’enfonça dans le creux de mon épaule, et un de ses poings alla frapper rageusement le mur. De la poussière et des fragments de pierre tombèrent. Ma poitrine se soulevait trop rapidement et mes genoux étaient toujours faibles – je voulais crier, pleurer, à moitié folle d’angoisse, mais je n’y parvenais pas. Quand il parla, son souffle me glaça la peau.
-Ne me laisse pas, Reveli, dit-il dans un souffle.
Il n’était pas dans une rage noire ou du moins, pas seulement. Il était désespéré. Aussi vulnérable que moi, ou presque. Le silence, autour de nous, était total ; la violence de la scène, mes membres blessés et mes plaintes, les cris, tout cela n’avait alerté personne. Nous étions trop loin.
-Mak’tor, répétai-je simplement, la voix pleine d’une terreur implorante, je te supplie de me comprendre, écoute-moi…
-NON ! cria-t-il en relevant la tête.
Son front se posa contre le mien, férocement. Ses yeux vrillèrent les miens ; des larmes coulaient le long de ses pommettes tandis que ses doigts caressaient fébrilement une de mes cornes.
-Tu n’as pas le droit, gronda-t-il sourdement, tout tremblant contre moi.
-Je suis draeneï, mon frère, pas humaine…
-Je ne suis pas ton frère ! éclata-t-il en giflant d’un revers mon menton. Mais tous les autres, oui ; tu n’as pas le droit de nous laisser, ta loyauté doit aller à la Lame ! Es-tu donc si cruelle que tu juges que nous n’en valons pas la peine ?
Statufiée, horrifiée, je n’osais plus parler. Il arracha un lambeau de mon vêtement de cuir, me laissant avec ma seule chemise noire. Sa bouche froide et lisse se colla sur ma pommette, tandis qu’il pesait sur moi de tout son poids, augmentant la douleur déjà vive des blessures qu’il m’avait infligées.
-Je dois en finir, parvins-je à articuler.
-TAIS-TOI !
Ses lèvres écrasèrent les miennes, dans un choc qui fit de nouveau couler mes larmes d’impuissance et d’angoisse ; j’étais incapable de déterminer, à ce moment, s’il me voulait ou s’il me rejetait. Mak’tor ne m’embrassait pas, il semblait vouloir me dévorer, me détruire. A présent totalement effarée, le corps entier douloureux, paniquée, je ne voulais qu’une chose, qu’il me lâche. Ma mort, ma fin tant attendue et inévitable, qu’on me refusait… C’était impossible…
Sentant que je n’en pouvais plus, une de ses mains se glissa dans mon dos et me cassa presque en deux contre lui ; ses lèvres restèrent sur les miennes, se contentant de les frôler, presque veloutées. Un sanglot dans ma gorge se mua en hurlement, qu’il étouffa en me jetant sur le sol ; sans m’écraser comme une seconde auparavant, il me maintint contre lui. Quand il me regarda, je lus dans ses yeux un chagrin et une peur immenses ; cela dépassait tout ; il me regardait comme si je lui étais… vitale, absolument et définitivement vitale.
-Ne pars pas, souffla-t-il d’une voix menaçante. Ne menace jamais, jamais ta vie.
J’essayai de me défendre, tentant de me rappeler – l’homme en face de moi me privait de quelque chose, c’était certain, cela me rendait folle, mais quoi ? Mon esprit sombrait, j’étais perdue. Comme entièrement brisée, j’étais dépossédée de tout, y compris de moi-même.
-Tu ne t’appartiens pas, gronda-t-il près de mon oreille ; tu m’entends ? TU NE T’APPARTIENS PAS ! Tu es à la Lame d’Ebène, et à moi ! Si tu tiens tant à expier que ça, contente-toi de cela !
Sitôt après cette explosion de colère, où mon corps se recroquevilla sans que j’en aie contrôlé le mouvement, sa tête s’abattit sur ma poitrine, ses larmes inondèrent ma peau ; mes yeux se révulsèrent sur l’envers du plafond sans rien voir. Le néant.

Je n’étais plus rien.
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MessageSujet: Re: Reveli - Trouble   Reveli - Trouble EmptyMar 10 Fév - 10:51

XII- La Recherche

« Vivre ou mourir – le choix est entre vos mains. » Instructeur Razuvious



-Merci pour tout.
-Je… Je vous en prie, déclara la jeune fille d’une voix mal assurée. Au revoir.
Je hochai la tête et vérifiai d’un coup d’œil que tout, dans la chambre, était parfait. Le lit était fait, la lumière matinale inondait le plancher. Rien ici ne laissait présager qu’un Chevalier de la Mort y avait passé des heures à se torturer.
Mon dernier regard fut pour le miroir. J’étais impeccablement vêtue. Mon habit réparé, luisant, noir mais dépourvu du trop-plein de symboles morbides habituels, épousait mes formes, m’offrant une protection optimale. Le tabard de la Lame d’Ebène était bien attaché, en évidence. Ma chevelure dorée encadrait, toutefois, un visage étranger.
Sensiblement différent.
Glacial. Froid, dans tous les sens du terme. L’expression était paisible, mais fermée. Mes lèvres ne dessinaient plus de sourire et mes traits refusaient de se détendre. Mon armure la plus épaisse, la plus étouffante, la plus collante n’était pas celle que j’avais attachée le matin même. C’était celle qui faisait à présent tellement partie de mon être qu’il m’était impossible de la dissocier, impossible de la distinguer, impossible de la retirer. Elle me tuait sans doute, du moins s’il restait quelque chose à tuer en moi. J’étais un Chevalier de la Lame d’Ebène. Je ne pouvais tout simplement pas penser autre chose, penser autrement. Je ne songeais pas à ma race, je ne songeais pas à mes tourments intérieurs, à mes questions, à ma peine, à mon chagrin, à mon devoir, même pas à mes frères et sœurs. J’étais engourdie, insensibilisée. Morte en somme. J’en aurais ri, mais mon reflet ne broncha pas, statue vaguement cauchemardesque.
Je quittai les lieux sans un regard en arrière. Regarder la Cathédrale de la Lumière éveilla une souffrance quelque part en moi – c’était toujours douloureux, ces quelques choses qui parvenaient à me rappeler ce que j’étais censée être, censée ressentir, celle que j’avais été. En vérité, quand je croisais quelqu’un en train de prier, cela me remuait un peu comme un souvenir d’une autre vie. J’étais ailleurs. La seule chose capable de me faire mouvoir était mon devoir et mon attachement – quasiment désespéré, sans doute, mais comme d’habitude, ne surtout pas y penser – à mes frères et sœurs.
Mak’tor et moi n’avions jamais reparlé de ce qui était advenu. Je ne me souvenais plus bien de ce qui s’était passé, d’ailleurs. Quand des bras m’avaient tirée des profondeurs des caveaux, je n’avais aucune idée du temps que j’étais restée là, inconsciente sans doute. J’étais toujours la seule à pouvoir l’apaiser quand la Faim le torturait trop, et celle qui encourageait sur un champ de bataille. Les autres avaient-ils seulement vu un changement en moi ? A part Galeo, qui entre deux crises de folie avait semblé tout comprendre en un éclair, comme d’habitude… Mes pairs avaient sinon visiblement fait avec.
Mais même ainsi, même tout au fond, même traumatisée ou quoi que ce soit pourtant, je n’y échappais pas.
Le visage de l’homme m’apparaissait aussi fréquemment et brutalement qu’avant. Ses prunelles bleues, lumineuses, pailletées d’or, m’avaient fixée, brûlantes, passionnées, lorsque j’avais une nouvelle fois enfilé ma tenue cuirassée.
J’étais déjà morte depuis longtemps, intérieurement aussi ; et je savais que mes dernières réserves, mes dernières forces étaient entamées.
Le fait que j’existe ne rimait plus à rien, mais je persistais, dans une errance dérisoire, coupée de tout souffle d’air, mais pas de tout but.
Je le retrouverais.


Reveli entama des recherches sur Hadrian, utilisant le moindre indice qu’elle avait pour progresser, parfois aidée de ses frères et sœurs maudits. Elle ne revint jamais à Hurlevent.
Elle opéra avec la Lame d’Ebène à de nombreuses reprises, menant ses activités et ses voyages en parallèle de ses missions de Chevalier de la Lame d’Ebène.

Son histoire n’est pas terminée ; mais elle n’a pas sa place ici. Ce qu’elle devient est raconté ailleurs.

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