Azeroth Adventurers' Chronicles
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Lil
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Lil


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MessageSujet: Liens mêlés   Liens mêlés EmptyMer 30 Avr - 16:56

Darkena - Depuis toujours et pour toujours



Pas un mot ne fut prononcé de tout le voyage, court au demeurant puisqu’Orionax activa une rune pour retourner à la maison. La maison… Ce manoir presque perdu, au nord de Gilnéas et à l’écart des terres grouillant de réprouvés.
Quand j’y entrai, je me sentis immédiatement mal à l’aise. Les pièces, les couloirs étaient vides ; il n’y avait plus aucun mercenaire ni serviteur. Pas de lumière, pas de vie… Je connaissais par cœur les tentures, les pierres froides, les tables, les lampes, les détours et les escaliers, les portes dérobées et les armoires de bois sombre. Cet endroit, Orionax ne l’avait pas acquis il y a si longtemps. Mais nous l’avions vite pris pour notre repère, car quel autre avions-nous ? Quel’thalas ? Notre terre, dévastée, où nous avions chacun tant perdu nous rendait trop amers ; je n’en supportais que les bois. L’Outreterre ? Le désir de vengeance consumait assez Orionax sans qu’il ait à vivre là où son père avait été tué. Alors, nous nous étions installés là et avions cherché, recruté, fouillé Azeroth entière. Dès que le premier mercenaire « loué » était entré là, j’avais pris mes distances. Il y avait toujours eu une ambigüité très forte entre Orionax et moi, et sur le coup être forcée de me fondre dans la masse de ses serviteurs m’avait soulagée. Sur le coup seulement. Combien de nuits m’étais-je réveillée en sursaut parce que je ne sentais pas son corps près du mien ?
Combien de fois avions-nous dormi l’un contre l’autre enfants puis adolescents, perdus dans un monde qui sombrait dans des ténèbres impossibles ? Combien de fois, pour que je m’y habitue ainsi ?
Certes, c’était en m’éloignant ainsi de lui que j’avais trouvé mon loup. En y pensant, je caressai la fourrure de celui-ci. Je ne pourrais jamais regretter mon compagnon ; il m’avait supportée avec vaillance dans mes moments de désespoir, tout au long de ma quête, et c’est avec lui que j’avais fini, moi qui avais toujours voulu apprendre à manier l’arc, par devenir davantage traqueuse que simple chasseresse. Pourtant, malgré toutes les habilités que j’avais développées, je restais douée pour saisir le regard et l’attention des animaux de la forêt. J’avais perdu la plupart de mes bêtes domestiquées lors de mes recherches effrénées, et laissé des liens se défaire quand j’étais morte. Mon loup, le plus puissant et spécial, ne m’avait pas lâchée, et je lui en étais plus que reconnaissante.
La dernière fois que j’étais entrée ici, mon cœur battait encore, mes yeux en amande avaient la même couleur émeraude que les siens, ma peau avait une couleur chaude, pêche dorée et non blanche. La dernière fois que j’avais été là, j’avais encore le droit de rêver, je pouvais me permettre cela, quand j’étais couchée contre mon loup : m’imaginer portant son enfant. Ce songe, si doux, m’avait été arraché, comme tout le reste.
Seuls, nous étions seuls. Combien de fois avais-je souhaité que ce soit le cas, que tous les autres partent – être seule avec lui quelques heures… Mais jamais je n’avais souhaité que tous ceux que nous avions recrutés soient à présent morts, morts en combattant Ered’saya.
Je voulais rester forte, profiter d’un des seuls avantages de ma mort : paraître plus insensible, plus froide. Mais en songeant à Grimor, un des seuls mercenaires à qui je m’étais attachée – et qui m’avait révélé à Shattrath que mon maître ne m’avait pas laissée tomber – je ne pus m’empêcher de fermer les yeux. Les autres Aventuriers avaient vu Ered’saya morte ; moi, j’avais d’abord regardé les gens sur les cadavres desquels il avait fallu marcher pour en arriver là.
J’aurais sans doute dû être joyeuse, me sentir libérée. Car ça y était ; j’avais accompli ma tâche, mon ancien maître était vengé, notre quête qui semblait infinie était terminée… Mais tout s’était passé trop vite, il y avait eu trop de choses, moi-même je n’étais pas en accord avec moi-même ; j’étais perdue, comme petite avec Orionax dans les rangs des elfes fuyant le Fléau.
Je me retournai pour tenter de le voir, mais il n’était plus derrière moi. Je marchai jusqu’à ses appartements ; il s’y réfugiait souvent.
J’ouvris la porte de bois lambrissé avec précautions. Il était bien là, bras tendus appuyés sur une table, le regard dans le vague.
Mon amour pour cet homme enfla dans ma poitrine, comprima ma gorge. Il était là, à quelques mètres. Je connaissais son visage si bien que je pouvais en dessiner les contours dans le noir, la nuit. Je savais par cœur ses expressions, ses quelques rires, ses mouvements d’humeur, de colère… Ses pommettes, ses longs cils, sa chevelure qui coulait sur ses épaules larges, sa bouche qui se tordait en une moue plus ou moins expressive, ses mains, je ne pouvais jamais détacher mon regard ou mes pensées de lui. Je connaissais son corps d’enfant, léger et rapide, maladroit, son rire clair ; je connaissais son corps d’adolescent, ses larmes dans le noir quand il croyait que je ne le voyais pas, sa façon de manier sa magie si froide, dont il se servait peu malgré ses immenses facultés. Je l’avais vu grandir, s’endurcir, je l’avais vu perdu, arrogant, énervé, horrifié, je l’avais même vu avec d’autres femmes dont je faisais semblant de me fiche – j’étais peut-être juste une traqueuse dans l’ombre, mais j’étais la seule à qui il faisait assez confiance pour me presser contre lui quand tout semblait vaciller autour de nous. Il était tout mon monde, tout ce que je chérissais le plus, il avait mon âme, mes souvenirs et mon avenir au creux de ses paumes, depuis toujours et pour toujours.
Il tourna lentement la tête vers moi. Son regard exprimait une légère confusion. Nul besoin de parler : nous savions tous deux à quoi nous pensions. La fin soudaine de l’aventure, la mort de nos compagnons, la solitude comme avant… et moi qui étais à présent une morte-vivante. Quand il détourna le regard de mes prunelles rouges, la douleur m’écrasa.
-Darkena, dit-il doucement, la dernière fois que nous nous sommes vus, j’ai dû encore jouer la comédie du maître tout-puissant et avaler tes mensonges sans rien dire. Je te présente mes excuses pour avoir fait semblant de t’abandonner…
J’aurais pu lui dire. J’aurais pu lui déclarer que même s’il me trahissait pour de vrai un millier de fois, je serais toujours éperdument amoureuse de lui. Une certaine froideur dans son ton me fit baisser la tête.
-Grimor m’en a avertie à Shattrath.
-Je vois. Aurais-tu l’obligeance de me raconter un peu ce qui s’est passé exactement tout ce temps ?
J’allais devoir parler longtemps, alors que je ne rêvais que d’une chose, me blottir contre lui comme si j’en avais le droit. Je soupirai légèrement et m’assis dans un fauteuil de cuir.
-Quand j’étais partie, j’avais donc comme piste celle de la liche Morbent Lagangrène. J’ai réussi à voler son phylactère à un groupe qui l’avait récupéré. Puis je me suis enfuie après une bataille où j’ai été sérieusement touchée. J’ai atteint le rivage d’une rivière souterraine par laquelle je pensais m’enfuir, mais ma blessure était trop grande. J’ai succombé… Je me suis réveillée en haut d’une tour réprouvée. J’ai d’abord poussé un hurlement de terreur.
Je ne pus retenir un frisson en y repensant. Sortir de la mort avait été une expérience absolument atroce. J’avais écarté les deux morts-vivants qui tentaient de m’empêcher de m’enfuir en hurlant des phrases du genre : « c’est pour votre bien, c’est un grand honneur » et avais couru. Partout, des morts. Mon cœur ne battait plus ; mes articulations, mes muscles, mes sensations si importantes pour la Chasse atrophiées… Un vrai cauchemar. Puis j’avais vu des vivants, là-bas, près d’une barque. C’était alors tout ce qui comptait : fuir. Je le résumai de mon mieux à Orionax, avant de poursuivre.
-Puis je suis revenue vers toi ; la suite, tu la connais. J’ai cru que tu me rejetais complètement, je n’avais plus rien… Je me suis fondue dans ce groupe étrange. Je ne cherchais même pas à m’intégrer, tu sais. J’existais, juste. Jusqu’à Shattrath…
Il hocha la tête, je me tus et détournai la mienne. Voilà, il savait tout. Je serrai les mâchoires. Que ferais-je une fois qu’il m’aurait avoué ne pas supporter ce que j’étais devenue malgré moi ?
-C’est donc enfin fini, murmura-t-il. Tu es libre.
Je ne réagis tout d’abord pas, puis le fixai.
-Orionax ? Que veux-tu dire ?
-J’ai assez pesé sur ta loyauté comme ça. Tu as servi ma famille mieux que quiconque, tu as été mon ancre pendant des années. C’est terminé… je ne suis plus ton maître.
Je contemplai son visage sans répondre, en état de choc. Une de mes mèches blondes voleta devant moi, la pointe teinte de rouge – un rouge qui se voulait similaire au rubis de ses propres cheveux. Ses yeux grands ouverts ne me lâchaient pas non plus. Mon regard le balaya encore une fois.
-Je dois partir, murmurai-je sur un ton à moitié interrogatif.
Il me fixait encore, se rapprocha. C’était si dur ! Les larmes me montèrent aux yeux, mais je tins bon ; plus tard, dans les bois environnants, avec mon loup, je pourrais peut-être craquer, mais pas maintenant, pas maintenant…
-Seulement si tu le veux, chuchota-t-il.
Le souffle chaud de sa voix était si proche que je le sentis sur mes lèvres. Cette chaleur, ce parfum… Mon corps, pourtant mort, craqua avant moi. Ma bouche se posa sur la sienne, déposant un baiser à la fois léger et désespéré sur ses lèvres tièdes. C’était si bon et si troublant – je reculai d’un bond. Il me regardait toujours, mais pour une fois, je n’aurais su dire à quoi il pensait…
Je voulus m’excuser, dire quelque chose, n’importe quoi. Il se leva, tendit la main, attrapa la mienne, me tira à lui.
Je cessai de réfléchir et de retenir mes larmes. Ma peau si froide sembla redevenir un peu vivante au contact de la sienne. L’eau qui coulait de mes yeux fut balayée par sa chevelure, mes mains tremblantes retrouvèrent de l’assurance en caressant son visage.
J’avais déjà imaginé à quoi pourrait ressembler ce tourbillon de sensations que je désirais tant ; mais j’avais été loin du compte. Quand le soleil darda des rayons dorés à travers les volets mal fermés et une lucarne, je me redressai un peu. Les draps glissèrent sur mes épaules ; je m’appuyai sur mes avant-bras pour le regarder.
Il semblait apaisé, enfin, presque heureux, allongé là sur cet immense lit. Je ne pus m’empêcher de passer mes doigts sur ses joues, son nez, son cou, son torse, avant de me rallonger tout contre lui. Sa chaleur et son étreinte suffisaient à faire tenir mon monde de nouveau droit. N’eut été mon état, j’aurais sans doute été la plus heureuse du monde.
Mes caresses légères durent l’éveiller, car il ouvrit rapidement les yeux. Je me figeai, craignant qu’il ne regrette ce qui s’était passé, mais ses bras se refermèrent avec plus d’assurance autour de moi.
-Je rêve, c’est ça ? murmurai-je.
-Mmm, je n’espère pas, répondit-il en me tirant à lui pour m’embrasser.
Il me fallut quelques instants pour pouvoir recommencer à réfléchir.
-Comment peux-tu… alors que je suis…
Il ne répondit tout d’abord pas, contemplant fixement le plafond.
-Eh bien… C’est vrai que c’est étrange et un peu déstabilisant. J’aurais sans doute trouvé ça gênant voire impossible normalement, mais… c’est toi. Je n’ai que toi. Depuis toujours et pour toujours.

Nous restâmes là à parler encore, peut-être, des heures. Des bons souvenirs comme des mauvais, de nos promesses, de nos peines, des autres, de nous.
-Que voudrais-tu faire ? lui demandai-je finalement. Retourner un peu à Quel’thalas ?
-Eh bien, pas de suite, même si les forêts te manquent. Je dois d’abord aller à Baie-du-Butin pour résilier des contrats en attente…
-Je viens.
-Je sais.
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MessageSujet: Re: Liens mêlés   Liens mêlés EmptyVen 9 Mai - 17:49

Lillenta - Le Sabre-Tempête

Je n’avais sans doute pas dormi bien longtemps quand je m’éveillai d’un coup en poussant un cri étouffé.
Je me redressai immédiatement ; j’étais allongée sur une énorme branche d’arbre, à tout juste deux mètres du sol. Le souffle me manquait. Je jetai des regards affolés de tous côtés, jusqu’à ce que mes respirations trop rapides se transforment en sanglots.
Ma douleur, mon chagrin étaient impossibles à ignorer quand je m’éveillais brutalement d’un cauchemar. Je ne pouvais pas faire semblant la nuit.
Un ronronnement profond dans mon dos m’indiqua que j’avais réveillé Tempête. Je posai une main sur sa tête en veillant à reprendre une respiration mesurée.
-Dors encore, murmurai-je, ce n’est rien.
Ma panthère émit un grognement sceptique, mais ses grands yeux bleu doré se refermèrent. Je me rallongeai contre elle, incapable de calmer les tremblements qui m’agitaient encore.
J’avais cru. J’avais cru pouvoir être assez forte pour encaisser, faire comme si, oublier. J’avais cru pouvoir me mentir, ou au moins me relever. Je m’étais trompée, et je me sentais si faible que je me dégoûtais de moi-même. J’avais affronté la mort d’amis, parcouru cent régions du monde, survécu à des catastrophes, tué de sang-froid… Et la mort d’une femme me bouleversait complètement.
Quelque part dans ma tête, quelque chose me chuchota que ma réaction était compréhensible. Que j’avais voué ma vie à la recherche d’une personne, que celle-ci une fois disparue il était normal que je me sente aussi perdue. Sans compter que ces derniers mois n’avaient pas été de tout repos.
J’écartai l’argument. Je ne voulais pas me trouver d’excuse. J’avais réussi, petite, à me remettre de la mort de mon père, au prix de mon éloignement de la communauté. Je m’étais construite au contact d’autres races et d’autres territoires, ce que certains elfes de la nuit me reprochaient, d’ailleurs. Il faudrait que je me remette aussi de la mort de ma mère. Sans cesse, je revoyais son visage, ses cheveux, je réentendais ses derniers mots… Une vraie torture, et je pourrais courir autant que je le voulais dans la forêt et m’épuiser à la chasse, cela ne changeait rien.
C’était fichu, je ne pourrais jamais me rendormir. Je soupirai et me relevai. J’avais somnolé vêtue d’une pièce légère de tissu et de mes brassards aux poignets et aux chevilles. Même en prenant tout mon temps pour nouer les lacets et ajuster mes gants, je fus bientôt prête. Je tressai vaguement ma longue chevelure et la laissai retomber dans mon dos, avant d’enfin attraper mon arc et le passer en bandoulière.
-Tempête ! chuchotai-je en arrangeant mon carquois correctement. On repart, mon beau.
Ma panthère bâilla et s’étira, faisant craquer la branche. Je posai mes mains sur cette dernière, puis laissai mes jambes pendre dans le vide, avant de lâcher et de me retrouver dans les herbes hautes. J’étais en Strangleronce, au nord de Baie-du-Butin, que je comptais rejoindre dans moins de quelques heures. Je poussai un léger sifflement, auquel répondit un bruit de pattes feutré.
Je souris au sabre-de-nuit qui s’ébrouait en venant à ma rencontre. Ma monture se laissa seller sans broncher, puis je me mis en place rapidement. Sitôt que j’eus accroché mes sacs à la selle, j’agrippai d’une main ferme le collier du félin et donnai une grande secousse. Il s’élança aussitôt, louvoyant avec une souplesse et une rapidité admirables entre les arbres et les cours d’eau. Je le dirigeais sans difficulté ; le vent tiède me fit du bien, cependant que le paysage défilait autour. Mon familier courait à mes côtés.
J’avais chassé la veille, et évitai les prédateurs pour ne pas perdre de temps. Toutefois, j’étais en pleine jungle ; et penser que j’allais m’en tirer aussi facilement sans me battre pour survivre au cœur d’un territoire hostile était utopique. Pourtant, quand le premier rugissement de raptor se fit entendre dans mon dos, je fis accélérer mon sabre-de-nuit dans l’espoir de ne pas avoir à abattre mon poursuivant; le félin bondit en avant. Il ne pourrait pas tenir cette cadence très longtemps, et les bruits de pas lourds et précipités ne ralentissaient pas.
-Il nous prend en chasse, grommelai-je.
Or, j’avais toujours refusé d’être la proie. C’était moi le Chasseur, jusqu’à ce qu’un autre ne fasse de moi un cadavre.
Je fis tenir à ma monture un train d’enfer tout en lui faisant décrire un large arc de cercle, comme pour faire demi-tour. Tempête, en phase avec moi, courait suivant la même trajectoire, un peu plus devant. Au moment où j’étais presque en train de faire face au danger, je me redressai et bondis sur le dos de mon familier, qui me réceptionna sans broncher. Je plaçai mes jambes de chaque côté de son dos sans les laisser pendre, serrant bien fort avec les genoux, en légère suspension ; puis je tirai une flèche de mon carquois. Trop tard pour regretter de n’avoir pas plutôt pris mon arbalète.
Enfin, je le vis. Un énorme raptor, la gueule ouverte sur des crocs à peine abîmés ; sa peau de cuir rouge était tendue sur ses muscles. Il poussa un cri en me voyant, et se prépara à se jeter sur moi.
Je bandai mon arc rapidement, visai d’instinct et relâchai la flèche. Elle fila s’enfoncer sous sa mâchoire, traversa son palais. La bête gémit, enragée, mais secoua la tête pour se débarrasser de ce qui la gênait. J’eus donc tout loisir de tirer un second trait, qui lui transperça le poitrail. Le raptor s’effondra, son sang teintant sa langue baveuse entre ses dents.
Je sautai sur le sol et courus récupérer mes flèches ; mais à peine les avais-je nettoyées dans l’herbe que j’entendis un feulement assez lointain. Ce n’était pas Tempête, qui tourna la tête en même temps que moi ; ce n’était pas non plus un feulement de tigre…
Dès que je compris, je me mis à courir, gardant mon arc dégainé à la main. J’esquivai des lianes, sautai au-dessus de ruisseaux, n’ayant plus qu’une idée en tête : sauver ma monture.
Quand j’arrivai dans un endroit à peu près dégagé, là où elle aurait dû être d’après mon estimation de la distance vu le son entendu, je n’aperçus pourtant mon sabre-de-nuit nulle part. En fouillant le sol du regard, je crus voir soudain… Mon cœur se serra.
J’approchai lentement, redoutant un piège. Mon sabre-de-nuit était bien là, couché sur le flanc. Une énorme balafre ouvrait son ventre jusque sous sa gorge, ses entrailles rougies apparentes. Je retins une plainte et pinçai les lèvres. Ce félin avait été un compagnon agréable et une monture fidèle. J’aurais qualifié une telle morte d’injuste si je n’avais pas gravées dans mon sang les lois impitoyables de ce monde. Aussi ne perdis-je pas une seconde la tête.
Je plaçai une flèche à la pointe acéré sur ma corde et me retournai, avec l’intention manifeste de faire payer le meurtrier. J’eus tout juste le temps de plonger ; un trait d’ombre me rata de peu. Furieuse, je roulai sur moi-même, me redressai sur un genou et tirai. Ma flèche alla se planter dans un raptor plus petit que celui que j’avais tué ; Tempête fila l’achever après avoir déchiré ses tendons. Moi, je fixais le troll à côté.
Il portait un grand couteau sacrificiel à la main, qui semblait avoir récemment servi. Des peintures de guerre ornaient son corps, et un masque cachait son visage. Je grimaçai. Je préférais savoir quand un ennemi était en train d’incanter. Je ne lui en laisserais pas le temps, voilà tout.
J’ajustai une seconde flèche et tirai rapidement ; mais elle fut déviée à quelques centimètres de la peau du troll. Une protection magique… Je dus me jeter en avant pour éviter une attaque brûlante, et esquivai quelque chose qui ressemblait bien trop à un maléfice gurubashi pour ma bonne santé. J’attrapai dans une poche spéciale une gemme de glace, l’entourai d’une liane ramassée à terre avec quelques morceaux de métal que j’ajustai pendant une roulade et plaçai un bâton dessous. Sitôt mon piège rudimentaire prêt, je le posai tandis que Tempête tentait de mordre la nuque du troll. Si mon familier échoua, cela opéra quand même en tant que diversion.
Ma cible se retourna, tenta de lancer un sort à ma panthère ; j’armai mon arc de nouveau, en prenant soin cette fois de prendre une flèche vibrante. J’espérais que ça fonctionnerait, ces pointes spéciales coûtaient cher à fabriquer…
De nouveau, je visai aussi rapidement que précisément et lâchai ma flèche. Celle-ci partit à une vitesse sidérante et explosa la protection du troll ; furieux, il s’avança, son couteau levé, ce qui me fit reculer à toute vitesse étant donné que j’étais trop près pour pouvoir bien tirer de nouveau.
On entendit un craquement, puis un grésillement et un cri brutal. Il avait marché sur mon piège ; les herbes hautes de la jungle avaient été mes alliées pour le dissimuler. Une gangue de glace l’emprisonnait jusqu’aux épaules. Calmement, je pris une dernière flèche et l’abattis d’un trait qui lui traversa la gorge. Tempête secoua sa tête ; voyant qu’il avait une coupure légère sous un coussinet, j’y apposai les mains. Le lien si particulier que j’avais forgé avec lui à Teldrassil me donnait la possibilité mystique de soutenir mon familier, sans que je comprenne vraiment la nature du flux naturel qui opérait.
-Il va falloir que tu me transportes jusque Baie-du-Butin, soupirai-je.
Il émit un grondement satisfait. Je passai plus d’une demi-heure à creuser la terre meuble pour ne pas laisser mon ancienne monture ainsi ; je dérangeai au passage un nid de serpents. J’en attrapai un que je saisis juste derrière la tête et lui fis cracher son venin, que je récupérai dans une bourse. Une fois le cadavre du sabre-de-nuit dans une gangue de terre fraîche, je murmurai quelques mots d’une prière à Elune et m’allongeai sur le dos de Tempête, ma tête au-dessus de la sienne et mes longues jambes à peine pliées de chaque côté de son corps ; mon poids ainsi réparti était plus simple à supporter. Il fila aussitôt, heureux de me porter – pour une fois que je ne lui préférais pas un autre félin.
Le trajet fut assez court ; en voyant la gueule immense au loin annonçant l’entrée de la ville gobeline, je sentis quelque chose d’amer dans ma bouche. Ma gorge se serra. Je n’avais pourtant aucun mauvais souvenir ici ; la dernière fois que j’y étais venue, c’était avec des gens courageux et que j’appréciais.
Les Aventuriers me manquaient, voilà la simple vérité, et je l’écartai de mon mieux en franchissant les nombreux ponts suspendus après être descendue de ma panthère. J’allai prendre un verre à une auberge, que le gobelin tenta de me faire payer deux fois son prix normal ; Tempête eut la fort bonne idée de bâiller au même moment, et l’homme eut une vue imprenable sur ses crocs. Je payai auprès de sa sœur, Milnas, qui me connaissait depuis un petit moment. Elle avait fait partie de mes nombreux contacts.
-Tiens, Lillenta ! s’exclama-t-elle en sautant debout sur le comptoir. Ça fait un moment ! Qu’est-ce que tu deviens ?
-Pas si longtemps que ça, nuançai-je, tu ne te souviens pas de notre groupe il y a peu ?
-Aaaah si, jamais vu l’auberge aussi remplie ! Pendant que tu es dans le coin, est-ce que faire une course pour moi te dérangerait ? Une simple livraison auprès de…
-Je ne suis pas là pour ça aujourd’hui, la coupai-je, désolée.
Elle me regarda avec des yeux ronds.
-Lillenta ? Toi qui ne refusais jamais de donner un coup de main ?
-J’avais une bonne raison de le faire, et la raison n’est plus. On verra une autre fois, Milnas.
Je la saluai et passai devant les chambres louées pour ressortir. Coup de chance, je ne vis pas celle où j’avais logé la dernière fois. Je n’aurais pas supporté de revoir la pièce où Elvyr…
Je fichai un coup de poing rageur dans un mur et collai ma tête contre. Il ne fallait pas que je pense à lui. Surtout pas. Plus jamais. C’était fini.
Le mal que j’eus à contenir les émotions affleurant me fit douter, pour la centième fois, de mes capacités à l’oublier.
J’y penserais plus tard. Au prix d’un effort de volonté, je sortis et traversai la ville en évitant les marchands, jusqu’à atteindre le port. Sur la jetée, le soleil éblouissant dut me jouer un tour ; je crus voir, plus loin… Non, ce n’était pas possible.
Je m’approchai pourtant des deux silhouettes, voulant être certaine… L’une d’elles se retourna. En me voyant, elle sourit.
-Lillenta !
-Darkena ?... Orionax ? Que faites-vous là ?
Impossible de se tromper. C’était bien l’elfe de sang que nous avions tant poursuivie avant de l’intégrer à notre groupe. Une traqueuse douée, que j’avais appris à apprécier malgré son état… Ses prunelles à présent rouges semblaient apaisées, alors que je l’avais connue tourmentée et hésitante. Sa chevelure blonde, aux pointes rubis, était retenue par un ruban tout simple. A ses côtés se tenait Orionax, dont je me souvenais assez bien ; il m’adressa un salut poli.
-Maintenant que je n’ai plus besoin de recruter activement des mercenaires, je venais annuler quelques contrats.
-Je vois, répondis-je en vérifiant du coin de l’œil que Tempête n’embêtait pas le loup de mon amie. Je suis heureuse de vous voir ici, je passais simplement racheter des équipements un peu particuliers.
-Tu veux aller boire quelque chose ? me proposa Darkena. Tu connais mieux la ville que moi, on se baladera un peu.
Orionax comprit la demande implicite de nous laisser, et obtempéra après l’avoir tendrement embrassée sur le front. J’attendis qu’il se soit éloigné pour hausser les sourcils. La traqueuse sourit de nouveau en voyant mon expression.
-Tu vois, Lillenta, malgré tout ce qui m’est arrivé, j’ai finalement eu droit à ma fin heureuse.
-Tu m’en vois contente, répliquai-je en lui rendant son sourire. Vous formez un couple tellement évident.
-Tu trouves ?
-C’était visible comme… comme un infernal de Lædera sur la tête de Lanval.
Nous éclatâmes de rire en y repensant, commençant à marcher dans la ville.
-Comment vont-ils, d’ailleurs ?
-Bien, il me semble. Aux dernières nouvelles, mon très cher frère avait réussi à la convaincre d’être un peu moins distante.
-Et…des nouvelles d’Elvyr ? dit-elle plus doucement au bout de quelques secondes de silence à marcher tranquillement.
Je me crispai ; malgré mes efforts pour ne rien laisser paraître, elle dut le voir.
-C’est normal que tu t’inquiètes pour lui, déclara Darkena en regardant au loin. Mais il va s’en sortir.
-Bien sûr que je m’en fais pour lui ! éclatai-je soudain. Mais ce n’est pas ça qui m’angoisse à ce point ! Ce n’est pas ça qui me réveille en sursaut, me déconcentre pendant la chasse, m’empêche de vivre sereinement comme avant !
Je ne savais pas pourquoi ça ressortait comme ça, d’un coup, mais je n’eus pas le temps de m’en vouloir que des larmes emplissaient mes yeux.
-A ce point ? s’alarma l’elfe.
Je soupirai en détournant les yeux. Nous nous assîmes en équilibre sur des tonneaux au bord de l’eau. Comme je restais silencieuse, énervée d’avoir laissé ainsi mes émotions transparaître, elle reprit la parole :
-Tu peux me parler, tu sais… Que se passe-t-il au sujet d’Elvyr ? Il était manifeste pour tout le monde que tu n’y étais pas indifférente et qu’il ne l’était pas non plus…
Mon cœur mal cicatrisé se remit à saigner, à vif. Je serrai les dents.
-Je ne l’aime pas.
Ça avait fusé. En prononçant ces mots, je me sentis mal. Parce que j’aurais souhaité par-dessus tout les croire, et qu’ils avaient la saveur d’un mensonge éhonté.
-Tu passes tout ton temps depuis qu’il est parti à tenter de te convaincre que tu n’as pas de sentiments pour lui? finit par comprendre Darkena, me surprenant par son analyse rapide. Mais, Lillenta… Tu peux avoir toutes les raisons du monde de ne pas vouloir l’aimer, tu ne pourras rien faire si tu ne l’acceptes pas dans un premier temps.
Je ne voulais pas ne plus l’aimer non plus, pourtant, pensai-je aussitôt. Alors, que voulais-je ?
Cesser de souffrir, de me torturer intérieurement, fut ma première réponse instinctive. Une autre s’y ajouta, que j’eus du mal à refouler. Voilà ce que je voulais, ce que tout mon être désirait : qu’il soit là. C’était tellement désespéré et lumineux que mes tentatives de croire le contraire s’évanouirent dans l’instant, ne laissant qu’un vague soulagement de l’avoir admis et d’autres questions qui commencèrent, à leur tour, à me ronger. Mais pour celles-ci, j’avais besoin d’être seule ; je ne pouvais pas en parler avec l’elfe, qui attendait que je recouvre mon sang-froid avec patience.
-Excuse-moi, Darkena, articulai-je. Je ne voulais pas te déranger avec tout ça… Je n’avais pas l’intention d’en parler.
-Je sais ce que ça fait de garder un amour impossible caché tout au fond de soi. Ça m’étonne même que tu aies juste eu un mouvement d’humeur plutôt que de craquer complètement, avec tout ce qui t’est arrivé dernièrement… J’ai appris pour ta mère, je suis désolée.
Je ne lui demandai pas comment ; elle avait dû croiser un autre des Aventuriers avant d’arriver ici. Je me relevai lentement.
-Je vais y aller, il faut que je demande un portail pour Darnassus ensuite, histoire d’acheter une nouvelle monture, la mienne s’est fait éventrer ce matin.
Elle grimaça et hocha la tête.
-A bientôt, alors.
-Transmets mes salutations à Orionax.
Elle me laissa partir d’un pas trop rapide vers les arrière-boutiques les plus douteuses, d’où je gagnai un petit repère. Là, je fis réparer mes gants abîmés et surtout mes flèches les plus spéciales. Je fis l’acquisition d’une explosive, qui me parut prometteuse, et repartis, à la recherche d’un mage compétent ; j’en trouvai finalement un, qui me fournit un portail à un prix que je n’eus pas, pour une fois, le courage de discuter.
Sitôt que j’eus traversé le tourbillon flou, je pus ouvrir les yeux dans ma patrie, au Temple de la Lune. Les elfes alentours me saluèrent discrètement en continuant de parler à voix basse ; plusieurs priaient en silence, d’autres passaient avec des livres sous le bras. Une Prêtresse novice déversait de l’eau sacrée en récitant quelque chose.
J’en avais passé du temps ici, la tête basse, affrontant en silence les tourments en moi-même. Et voilà que, pourtant maintenant jeune adulte, je recommençais…
Je savais que si je faisais le tour du Temple, j’aurais une chance de tomber sur Lunev. Peut-être que lui parler me ferait du bien ? Mais quelque chose me retint. D’accord, je n’avais jamais été du genre bavarde à mon sujet ; mais plus que cela, je ne voulais pas la voir avoir mal pour deux. De toute façon, même en parlant à Darkena j’avais conclu que je devais être seule.
Je me sentais indigne de prier la Déesse, alors que tout en moi était confus et peu propice au calme et à la méditation. Je reviendrais quand mon cœur et mon âme seraient épurés, me promis-je sans oser même lever les yeux sur l’effigie d’Elune. Je sortis du Temple avec Tempête sans faire de bruit et me dirigeai rapidement vers mon éleveur favori, pas très loin de là où exerçait mon ancien maître Chasseur.
Marcher à mon rythme – assez soutenu mais régulier – dans ma ville me délassa un peu. L’air ici était parfumé, et pourtant un peu sauvage ; des courants d’air tiède et froid se succédaient, les mille sons de la nature se mêlaient harmonieusement avec les voix des elfes de la nuit. Je croisai peu de ressortissants d’autres races avant d’atteindre mon but.
Un elfe de la nuit d’environ ma taille était accroupi près d’un sabre-de-nuit. Les grands félins, laissés à moitié libres pour la plupart, déambulaient, silencieux avec leurs larges pattes. Dans leurs yeux restait un éclat sauvage que le meilleur éleveur ne pourrait jamais dompter ; mais c’était cet aspect, avec leur robustesse et leur beauté, qui nous avait amenés à les choisir comme montures. Je regardai attentivement plusieurs spécimens, sans me décider pour l’un ou l’autre. L’elfe finit par se redresser et m’aperçut.
-Lillenta ! Ishnu’alah. Cela fait longtemps que je ne vous ai plus vue.
-Ishnu’dal-dieb. J’étais très satisfaite de ma monture, malheureusement…
-La Forêt est ce qu’elle est, soupira mon interlocuteur. N’hésitez pas à me demander quoi que ce soit.
-Merci.
Je restai là un moment, songeuse, à regarder vaguement Tempête se mesurer aux mâles sabre-de-nuit. C’est en le voyant à côté que je réalisai que mon familier, déjà grand pour une panthère, continuait de grandir. C’était vraiment étrange, mais j’y penserais plus tard.
Je mis un genou à terre pour admirer la robe lustrée d’une des montures. Mais elle semblait calme, alors que j’avais tendance à préférer les félins nerveux, voire difficiles à dompter, au grand dam de Lunev qui, si elle aimait les sabre-de-nuit, prenait à présent souvent un ellek pour se déplacer.
Enfin bon, pour ce que j’en savais, c’était peut-être une bonne excuse pour aller voir Dominici, toujours pas reparti de notre capitale…
Je tournai la tête sur ma gauche et souris en voyant un petit, sans doute né il y avait quelques semaines, se diriger vers moi en ronronnant ; il avait déjà de petits crocs pointus, et commença par gratifier mon bras d’un coup de griffe. Une fois qu’il se fut assuré que je ne répliquais pas et ne cherchais pas à me montrer plus forte que lui, il frotta sa petite tête ronde contre ma main. Je le laissai faire et relevai les yeux pour regarder un sabre-de-nuit qui s’avançait aussi dans ma direction, l’air méfiant.
Il était grand, un peu plus que les autres peut-être ; ses muscles nerveux et souples laissaient présager d’excellentes capacités à la course et son attitude un caractère secret et frondeur. Pourtant, quelque chose chez l’animal me mettait profondément mal à l’aise, quelque chose sur lequel je n’arrivais pas à mettre le doigt…
Sa robe d’un bleu-noir profond, quoique d’une blancheur immaculée sous le ventre et le poitrail, le désignait clairement comme sabre-tempête. Je me perdais en conjectures – qu’est-ce qui me gênait tant chez lui ?
-Celui-ci vous plaît, Lillenta ? me demanda soudain l’éleveur. J’ai eu un peu de mal à le domestiquer, mais malgré son cœur féroce, c’est un de nos meilleurs sabre-tempête…
-Oui, il semble l’être, répondis-je sans cesser de l’observer.
L’elfe de la nuit me laissa détailler tout à loisir le félin, qui bâilla largement devant moi avant de fixer ses yeux sur les miens. Ce fut là que je compris ce qui n’allait pas.
Ses yeux étaient d’un bleu froid étincelant.
Ils m’en rappelaient d’autres, d’autres qui auraient dû m’inspirer un frisson de dégoût ; qui exhalaient une volute runique signifiant que leur possesseur était une abomination. D’autres qui m’avaient fixée avec une intensité qui aurait été dérangeante s’ils ne m’avaient pas tant fascinée.
S’il ne m’avait pas tant fascinée…
Je me relevai d’un coup ; je tremblais légèrement. J’allais craquer. Je sentais que j’allais craquer. Pas m’effondrer, comme quand j’étais revenue à Darnassus après avoir vu ma mère agoniser. Non, exploser comme une de mes flèches brûlantes.
-Je reviens, jetai-je à l’éleveur. Vous voulez bien me le mettre de côté ?
-Bien sûr, mon enfant, me rassura l’elfe de la nuit qui semblait s’inquiéter un peu.
Je lui adressai un salut, ajustai mon arc en bandoulière et me mis à courir. J’en avais pris l’habitude dans les bois, j’étais rapide et attentive ; mais si ma course jusqu’à l’orée de la forêt me fit du bien, ce ne fut pas suffisant. Je courus peut-être une heure, ou moins, ou plus, aucune idée. Tempête était à mes côtés et je courais comme si je voulais sauver ma peau.
Je finis par marcher quand je fus parvenue au cœur de la Forêt, près d’un endroit que j’aimais bien, deux bassins naturels paisibles et une clairière lumineuse. J’avançais lentement à présent ; je parvins jusqu’entre les petits lacs, tombai à genoux sur le sol. Je me délestai de mon arc et de mon carquois, posai aussi mes gants et mes épaulières. Je me relevai pour marcher à pas lents et pénibles jusqu’à l’eau. Là, je retombai, les mains crispées au rebord. Je contemplai mon reflet, à peine essoufflée, l’esprit en feu à force d’être plein.
Me faisait face un visage de kaldorei assez typique. La peau en était légèrement mauve, lisse et douce. Les pommettes soulignaient un regard d’ordinaire calme et alerte ; là, il semblait surtout affolé. Les marques faciales, nettes et bien tracées, décoraient le visage des joues jusqu’au-dessus des longs sourcils blancs. Quelques mèches s’échappaient de ma tresse, ondulant légèrement.
J’aurais pu croire que ce visage appartenait à une elfe de la nuit parfaite, à une représentante digne de ce peuple qui était le mien et que j’aimais tant. J’aurais pu, si je n’avais pas su que c’était le mien.
Regrettais-je la vie que j’avais menée jusque-là ? Dès que j’étais devenue une femme et que j’avais fait marquer mon visage, moi qui passais déjà tout mon temps dehors, j’avais fui. J’avais fui mes souvenirs, mon peuple, j’avais soif de nouveaux horizons, de nouvelles connaissances. Je voulais me lancer sur les traces de ma mère plus que tout, aussi.
Non, je ne regrettais pas les chemins de traverse que j’avais empruntés ; j’aimais même celle que j’étais devenue. J’étais capable de voir un orc et de ne pas me sentir obligée de le tuer pour ce que sa race avait fait à mes forêts, je connaissais mieux les villes de l’Alliance que la moitié de mes compatriotes, j’avais l’esprit plus… ouvert.
Ouvert au point de tomber amoureuse d’un demi-elfe Chevalier de la Mort.
Mes tremblements reprirent ; mes doigts crochetèrent le sol, arrachant à la terre plusieurs brins d’herbe tendre. Mes lèvres s’entrouvrirent, mon souffle devint plus heurté et mon cœur marqua un rythme désordonné. Je sentis mes yeux se remplir de larmes, et l’une d’elles tomba dans l’eau devant moi, troublant l’onde, troublant mon reflet.
Le fait d’aimer un demi-elfe ne m’aurait pas tant gênée normalement. Si la plupart des peuples réprouvaient ces enfants de sang-mêlé, je mettais un point d’honneur à me fiche de leur descendance et à seulement accorder de l’importance à eux-mêmes.
Mais un Chevalier de la Mort… c’était juste impensable, pour un elfe de la nuit, de rester ne serait-ce qu’impassible en en voyant un. Ce n’était pas seulement qu’ils avaient commis des crimes abominables – nous étions tout de même en mesure de saisir qu’eux aussi avaient eu leur lot de souffrance. C’était surtout qu’ils étaient absolument, totalement et définitivement contre-nature. Ils étaient morts – morts, des cadavres dont l’esprit aurait dû partir. La magie nécromantique, impie, les avaient rattachés de force à ce corps qui désormais n’évoluerait pas, ne pourrait plus donner la vie mais juste la mort. Rien que le concept était abominable, innommable. Mais ce qui nous révulsait surtout était leur simple existence. C’était gravé dans notre chair, dans notre sang : nous adorions la vie, la nature, et tout ce qui y était aussi contraire que ces êtres n’avaient tout simplement pas lieu d’être.
Je m’étais donc tant écartée du bon sens ? Avais-je donc trahi la Déesse, l’avais-je offensée gravement pour qu’elle me punisse ainsi ? Une douleur dans ma poitrine m’obligea à poser mon front contre le sol ; j’entendis mon familier gémir à quelques mètres, mais en cet instant, même Tempête ne pouvait rien pour moi.
« Sois fidèle à Elune et à ses enfants. » Cette injonction, cette ultime prière, ce dernier conseil, je l’avais reçu deux fois : quand mon père agonisait devant moi, alors que j’étais une enfant, et il y a peu, quand c’était ma mère qui me quittait. La douleur devint supplice. Je n’étais même pas capable d’obéir à la dernière demande de mes propres parents, qui étaient tous deux morts courageusement. Je n’étais pas fidèle à Elune, ni à ses enfants, quand je pensais à Elvyr. Je les trahissais purement et simplement. Je connaissais son arôme, frais comme les sous-bois, étourdissant – et pourtant, derrière, ressortait l’odeur de la mort. Je savais par cœur son rire, franc et qui me donnait envie de sourire, alors que transparaissait toujours dans sa voix un éclat métallique impossible à oublier.
J’aurais tant aimé croire que je ne l’aimais pas ! Mais Darkena avait malheureusement raison ; même pour moi, c’était évident à présent ; je l’aimais, par Elune, oui, je n’avais jamais aimé quelqu’un ainsi, au point de me faire oublier ce que la raison me dictait. J’étais amoureuse, amoureuse du contraire de ce que ma famille aurait voulu pour moi.
Comment ? Comment avais-je pu balayer d’un revers de main mes préceptes et mes acquis, comment avais-je pu me montrer si ignorante, si stupide, comme si j’avais eu quelques années et non pas des décennies et des décennies ? Comment avais-je pu me couler entre les bras d’un mort-vivant ?
Parce que ce n’était pas un mort-vivant, me souffla une voix impossible à écarter de ma tête. Vrai : ce n’était pas ainsi que je le voyais. Je n’étais pas tombée amoureuse d’un être horrible et mort. Ce n’était pas ce que mon cœur me hurlait. J’étais tombée amoureuse d’Elvyr, juste Elvyr, sans que cela soit rationnel ou explicable. Aussi bas que mon peuple le rabaisse, je ne me sentais presque pas assez digne pour lui ; il avait un courage, une force, une volonté inébranlables, je sentais toujours mes yeux pétiller quand je le voyais combattre. J’aimais ses sourires, son humour un peu ironique, sa façon de penser, d’être.
Et moi, qu’avais-je ? me demandai-je immédiatement malgré moi. Rien. J’étais une elfe de la nuit, peut-être ne trouvait-il rien d’attirant chez moi. Je n’avais pas toujours un caractère facile, j’avais parfois été si enfantine en sa présence ; peut-être était-il incapable d’apprécier une femme dont le domaine était les régions les plus sauvages du monde ; peut-être avait-il eu envie de m’écarter de lui quand je le touchais ?
Ne m’avait-il pas à plusieurs reprises avertie sur ce que je risquais en sa présence ? Et si cela signifiait juste qu’il ne voulait pas de moi ?
De toute façon, ces questions n’avaient pas lieu d’être, je ne pouvais pas, je n’avais pas le droit… Non, elles ne se posaient même pas… Qui étais-je, pourquoi ne pouvais-je donc jamais être en accord avec moi-même ? Tout tournait…
Je hurlai. Un long cri sauvage et désespéré, qui me surprit moi-même quand il griffa ma gorge. Tempête rugit en même temps ; c’était fou comme geste, jamais un Chasseur ne se mettrait à crier comme ça en pleine forêt, ça ferait fuir tout le gibier ou ça rameuterait les prédateurs. Mais mon hurlement ressemblait plus à celui d’un animal blessé. J’enroulai mes bras autour de moi et me balançai d’avant en arrière, sans plus oser regarder mon reflet dans l’eau devant moi.
J’ignore combien de temps je restai ainsi, presque privée d’air, jusqu’à ce qu’un feu follet tournoie devant moi et se mette à flotter devant mes yeux.
Je fixai l’esprit en sentant des larmes couler en grosses perles transparentes sur mes joues, ruisselant jusque sur ma poitrine ou tombant à terre. Les filaments blanc argentés du feu follet tournoyaient paisiblement, comme s’il était en confiance avec moi, comme s’il me reconnaissait.
-Sens-tu le chagrin de tes enfants, mère ? Vois-tu comme ils lèvent les yeux vers la Lune, priant pour que ta clarté leur parvienne ? récitai-je à voix basse.
La prière ne troubla pas l’esprit ; il folâtra au-dessus de l’eau, illuminant le lac jusqu’au fond. Je sentis mon familier approcher par-derrière, puis s’allonger dans mon dos de façon à ce que je puisse confortablement m’appuyer sur son flanc. Il tourna sa tête vers moi, ses grandes prunelles bleu-doré plongeant dans les miennes, argentées. « Pourquoi te rends-tu si malheureuse ? » semblait-il me dire.
Pourtant, Tempête n’appréciait guère Elvyr ; autant il s’était habitué à Lanval, autant faisait-il encore le jaloux quand le Chevalier m’approchait. Mais ma panthère ne pouvait pas aller bien quand j’étais moi-même si mal.
Qu’est-ce qui m’empêchait, pourtant, me dis-je soudain, d’être une elfe de la nuit digne ? Qui avait le droit de proclamer que je n’étais une kaldorei intègre et honorable ? Ce regain de fierté me donna la force de relever la tête. Je contemplai le feu follet qui s’agitait au-dessus de l’onde pure. Sous quel prétexte n’étais-je pas une enfant de la Déesse ? Ces bois, ces villages, cette langue, ce peuple, cette culture, ces chants… tout cela était une partie de moi, et je ne laisserais jamais personne me le retirer sous quelque excuse que ce soit. Même le fait que j’ai évolué différemment, que je sois autant enfant d’Azeroth que des elfes de la nuit – et j’avais mille exemples pour cela. Même le fait que j’aime quelqu’un de différent… de dangereux normalement pour moi. Parce s’il y avait bien chez Elvyr quelque chose dont je me fichais, c’était du risque que je prenais ; je serais prudente, je lui faisais confiance.
J’avais l’impression brutale d’avoir grandi de plusieurs siècles en quelques jours, voire en quelques heures. Je me relevai lentement. La torture intérieure, mon terrible dilemme ne partiraient jamais sans doute totalement, mais j’étais déjà plus sereine.
J’étais incapable d’envisager la possibilité de ne plus l’aimer. C’était fou et presque effrayant ; est-ce que c’était toujours ainsi ? Lanval ressentait-il cette lumière à la fois brûlante et douce quand il contemplait Lædera ? Je me souvins de Nocturana, le mentor de cette dernière. Avait-elle été amoureuse de Séréphios comme je l’étais du frère de mon amie ?
Et puis, si Elvyr ne m’aimait pas, cela simplifiait les choses de toute façon… Je contins assez facilement la pointe de douleur que cette pensée provoqua, tant je me sentais soulagée d’avoir mis les choses au point avec moi-même.
J’étais ainsi et je le resterais. Personne n’avait le pouvoir ni le droit de me classer, de me mettre dans une case.
Je récupérai mes affaires, passant la corde de mon arc devant pour qu’il tienne, et montai Tempête, qui me ramena rapidement à Darnassus. Je revins près de l’elfe de la nuit ; les lumières douces du couchant commençaient à poindre, annonçant la nuit prochaine. J’avais hâte de voir la Lune, d’aller prier au Temple.
-Vous vous êtes décidée ? me demanda gentiment l’éleveur en examinant ma panthère avec intérêt.
Je regardai de nouveau le sabre-tempête, qui me renvoya un regard toujours aussi bleu, toujours aussi limpide.
-Oui. Je le prends.
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MessageSujet: Re: Liens mêlés   Liens mêlés EmptyVen 25 Juil - 20:04

Dominici - Inaccessible


« Salutations, mon frère.
J’espère sincèrement que tu vas bien, car depuis Baie-du-Butin je n’ai plus guère de nouvelles, et notre père m’a assuré qu’il n’en avait pas reçu non plus. N’hésite pas non plus à me dire comment le groupe d’aventuriers dans lequel tu t’étais engagé se porte.
Pour ma part, en te quittant la dernière fois avec Meshael, je suis ensuite rentré à Shattrath, d’où je prie pour notre famille. Quant à Arkaan, il est paraît-il tombé sur une draeneï en allant à l’Exodar qui l’a laissé si peu indifférent qu’il m’a confié préparer sa demande en mariage. J’ai cru que père allait s’étouffer quand je lui ai rapporté la nouvelle, mais tu le connais, il meurt d’envie de rencontrer la fameuse jeune femme.
Nous serions très heureux que tu nous rejoignes bientôt et t’embrassons. Puissent les Naaru t’accorder leur bénédiction et éclairer ton chemin.
Veltaar Terna »


Donatel lut deux fois la lettre, lentement, avant de la reposer sur la table de bois fin de l’auberge en soupirant. Il s’en voulait un peu d’avoir omis de donner de ses nouvelles à ses frères et son père, et demanda rapidement du papier et une plume pour pouvoir répondre à Veltaar.

« Bonjour, mon frère.
Sache que si j’ai tant tardé à te tenir au courant, c’est simplement parce que je »


La plume s’immobilisa au-dessus du papier, indécise. Qu’écrire ? Qu’il avait été trop occupé ? Vrai. Ces derniers mois avaient été parmi les plus agités de son existence. Mais rien ne l’aurait empêché de le faire ces dernières semaines.
Rien, non, sauf elle.
Le draeneï laissa sa tête aller contre le montant en bois à sa gauche, comme soudainement fatigué. Son regard erra sur sa lettre à peine commencée, sur les quelques autres tables de la salle, la rampe plus loin conduisant aux chambres ; puis sur le jardin à l’extérieur, les routes et les biches qui y passaient comme si elles avaient été en pleine forêt. De là où il était, il peinait un peu à distinguer le toit du Temple, mais il en devinait les contours, par-delà des habitations et plusieurs commerces.
Lui prit l’envie d’écrire à Veltaar que non, il n’allait pas bien, qu’il avait besoin de son aide, qu’il ne savait plus quoi faire, qu’il avait besoin de savoir s’il avait fait quelque chose de mal ou s’était trompé quelque part. Son tempérament peu bavard le retint d’écrire de telles choses. Il ferma les yeux pour retrouver son calme, mais à la place de la sérénité attendue, ce fut un visage qui s’imposa à ses prunelles cachées.
La chevelure bleu sombre retenue par un ruban serré derrière deux longues oreilles, les yeux lumineux bordés de longs cils sombres, le nez et la bouche fins… il connaissait tout ça par cœur. Il avait sous les yeux la douceur même. Tout était doux, chez elle. Ses cheveux, sa peau, sa voix, ses gestes… Il revoyait son corps fin et tendre de femme, elle qui semblait fragile comme une enfant et largement aussi naïve.
Quelque chose se tordit en lui et lui noua la gorge. Ses bras vides le brûlaient. Il voulait être avec elle, la prendre dans ses bras, sentir sa chaleur et son parfum léger, la sentir tout contre lui et en sécurité. Ses mains se crispèrent, la plume se cassa. Soupirant, il rouvrit les yeux et lut de nouveau, en diagonale, la lettre de son frère.
Shattrath. Ce n’était pas si loin, grâce aux portails, il pouvait rentrer revoir tout le monde en peu de temps. La joie que procurait cette idée s’opposa en lui au déchirement que cela laissait entrevoir. Partir, la laisser. Impossible.
Remettant à plus tard l’idée de répondre à son frère, le draeneï s’accouda à la table et se prit la tête entre les mains, les yeux grands ouverts. Mais qu’avait-elle pour qu’il se retrouve incapable de s’en éloigner ainsi ? Certes, elle provoquait en lui ce besoin impérieux de la protéger. Il avait cru la voir comme une sœur. Retrouver quelqu’un ayant besoin de protection et de tendresse avait été un choc bienvenu. Pas un jour ne passait sans qu’il ne repense à Alteria, et sa sœur lui manquait cruellement. Elle manquait à toute la famille, privée à présent de présence féminine, puisque leur mère était décédée dans la chute de l’Exodar.
Quelque chose avait rapidement différé, pourtant. Parce que la ressemblance avec Alteria s’arrêtait là. Lunev était aussi pure et altruiste qu’une draeneï, pas de doute là-dessus pour lui, mais les frissons qu’elle provoquait rien qu’en l’effleurant n’avaient rien de fraternel ou de simplement amical.
Toutes ces nuits où ils avaient dormi avec les autres en pleine nature ou en ville, en cercle serré, à la belle étoile, avaient été douces. Il se rappelait mesurer même son souffle quand Lunev l’effleurait, par crainte de la réveiller. Plusieurs fois, elle s’était endormie tout contre lui, sa tête posée sur son torse, parfois frissonnante quand la température n’était pas clémente. Combien de fois avait-il eu du mal à prendre son bouclier le matin, parce que son bras était engourdi d’avoir servi d’oreiller ?
Ces souvenirs avaient une part d’amertume. Devant l’innocence de l’elfe de la nuit, Donatel culpabilisait plus souvent qu’à son tour des pensées qui pouvaient lui venir en la contemplant. Et pourtant… chacun autour d’eux semblait penser que leur relation allait évoluer. Même Lillenta, la plus proche de Lunev, semblait quasiment les considérer comme un couple.
En fait, tout le monde avait remarqué ses sentiments, sauf Lunev elle-même, se dit-il non sans désespoir. Mais se pouvait-il qu’elle ne ressente rien ? Qu’elle le voit comme un frère ? Ou même ne l’apprécie pas ? Peut-être aimait-elle déjà quelqu’un ?
Il secoua la tête, tentant de se résonner. Même si la Prêtresse d’Elune était assez innocente pour ne pas avoir vu ce qu’il ressentait, si elle ne l’avait pas apprécié du tout, elle ne se serait pas rapprochée ainsi de lui. Quand il veillait sur son sommeil, il avait l’impression de veiller sur le monde entier ; il n’avait jamais rien vu d’aussi touchant que son sourire lorsqu’elle s’éveillait, encore fatiguée. Lui venait alors l’envie de la prendre dans ses bras, simplement, et il s’écartait, comme toujours.
Elle allait le rendre fou à le laisser dans l’incertitude, se dit-il en se levant. Il ne pouvait pas rester à Darnassus indéfiniment en attendant qu’elle décide de lui parler. Non pas qu’il manque de patience, mais cela devenait tout simplement trop douloureux.
A l’extérieur, gardé avec d’autres montures, son ellek attendait. La bête se laissa seller rapidement, et il partit à un bon pas en direction du Temple ; à cette heure, elle devait être dans les jardins. Sans doute à étudier, comme souvent quand le temps était ainsi clément. Cela ne lui prit pas très longtemps pour traverser la capitale ; il finissait par connaître le trajet par cœur, et quelques elfes de la nuit le saluèrent poliment quand il passa. Il entrevit un worgen passer avec une elfe, discutant, et songea le reste du trajet à Lanval et Lædera. La dernière fois qu’il les avait vus, cela semblait s’être arrangé entre eux, à voir le sourire réprimé de la Démoniste quand le Voleur l’avait embrassée dans le cou. Quelques mois plus tôt, cela lui aurait sans doute valu un démon à ses trousses. Ils avaient fini par partir, assez rapidement. Donatel n’avait pas bien compris leur destination, mais Lanval semblait beaucoup grommeler quoique content comme s’il se préparait à quelque chose d’intéressant et Lædera paraissait pressée. Quant à Lillenta, l’elfe revenait souvent ici, mais était partie pour Baie-du-Butin voilà quelque temps déjà, puis revenue en coup de vent et repartie…
En arrivant près des jardins, le draeneï descendit de son ellek rapidement, et chercha Lunev du regard. Quand il l’aperçut, assise près d’une source, un livre à la main, son souffle s’apaisa de lui-même. Tout sembla retrouver un équilibre. Puisqu’elle était là.
Il s’approcha tranquillement, comme si son cœur n’avait pas marqué d’accélération. Elle termina la lecture de sa page avant de relever les yeux vers lui. Lunev lui sourit, l’air heureuse. Elle était jolie, beaucoup trop jolie.
-Bonjour, Dominici. Tu vas bien ?
Elle utilisait ce surnom que les humains lui avaient donné devant son nom trop long, qui parfois le faisait soupirer ; mais prononcé par elle, comment s’en offusquer ?
Comment un brin de femme comme elle pouvait le rendre si vulnérable et malléable, par tous les Naaru ?
-Bien, merci, s’entendit-il répondre de sa voix posée. Et toi ?
Il s’assit à son côté ; la Prêtresse sembla hésiter une seconde puis posa sa tête sur son épaule. Il enroula un bras autour de sa taille fine, déposa un baiser dans ses cheveux. Elle se crispa légèrement, et il recula lentement son visage. Avait-il été trop loin ?
Lunev avait rosi. Elle déposa un baiser léger sur sa joue, avant d’assurer qu’elle se portait comme un charme et révisait une suite d’incantations protectrices. La tête un peu ailleurs, le draeneï hocha la tête. Comment aborder le sujet qui lui tenait à cœur ? Il ne pouvait pas. Parler de cela, c’était prendre le risque qu’elle ne s’éloigne… La perdre. C’était impensable.
Il avait posé son menton sur sa tête, et inclina la sienne de nouveau pour effleurer ses cheveux de ses lèvres. Lunev continuait de parler, insouciante. Fermant les yeux, le draeneï laissa glisser ses baisers le long d’une mèche, effleura son oreille, descendit sur sa joue.
L’elfe de la nuit avait cessé de parler et respirait trop rapidement. Elle se blottit contre lui, légère ; mais cela n’arrêta pas la lente progression des baisers sur sa peau. C’était doux, et pourtant brûlant ; malgré elle, un de ses bras s’enroula autour de son cou. Sa main effleura les tentacules du Redresseur de Torts, qui frémit. La tension était telle que Lunev sentait son cœur s’affoler, mal habitué à de telles émotions. Quelque part en elle, une voix répétait qu’il ne fallait pas, qu’elle ne devait pas… Mais pourquoi ?... Elle avait de plus en plus de mal à se rappeler… Une des mains de Donatel descendit le long de son dos pour la presser contre lui ; finalement, comme elle levait la tête, perdue, les lèvres du draeneï embrassèrent la commissure de ses lèvres. Lunev oublia le reste du monde. Sa bouche effleura la sienne, un contact troublant…
Elle se releva d’un bond, tremblante. Donatel ne la retint pas, alerte soudain ; il craignait d’avoir mal agi, de s’être laissé emporter, pour une fois.
Lunev, les joues trop roses, bras serrés autour d’elle, tenta de dire quelque chose d’abord, mais ses yeux lumineux s’emplirent de larmes avant qu’elle ne puisse parler. Les perles liquides roulèrent sur sa peau, navrant et consternant son ami.
-Lunev, attend ! dit-il, suppliant, quand elle esquissa un pas de côté. Je… Je suis désolé si j’ai mal agi, mais…
Que dire ? Pourtant, elle le surprit.
-Je sais, Dominici, murmura la Prêtresse. Mais je ne peux pas.
Il la contempla, presque effrayé à l’idée de parler et de dire quelque chose qu’il ne fallait pas à en voir ses mains qu’elle tordait nerveusement et ses larmes.
-Tu ne peux pas ? répéta-t-il, maudissant la douleur qui s’entendait dans son timbre.
Il se leva également, sans avancer vers elle. Il avait encore la sensation de son baiser sur sa bouche, et tenta de chasser toute envie de l’embrasser le temps de comprendre.
-Si tu ne ressens pas… la même chose que moi, s’obligea-t-il à articuler, ce n’est pas grave, Lunev. Et je suis navré si j’ai fait quelque chose de travers, vraiment.
Les sanglots de l’elfe redoublèrent, une torture pour le draeneï. Ne pas s’avancer pour la prendre dans ses bras requit toute sa volonté.
-Ce n’est pas ça, répondit enfin la Prêtresse, toujours de cette voix suppliante.
Qu’est-ce que cela signifiait ? L’aimait-elle ?
-Ce que je ressens n’a pas d’importance, ajouta-t-elle rapidement. Je veux juste servir Elune, juste Elune, et je ne peux pas… être… avec toi.
Donatel ne dit rien. Il craignait de comprendre, et cherchait les mots pour la résonner, tenter de lui faire comprendre son point de vue. Il ne trouva pas.
-Je suis désolée, murmura-t-elle avant de filer comme un feu follet.
La seconde d’après, il n’y avait plus rien, plus rien que son parfum et l’écho de sa voix. Donatel dut se forcer à respirer.
Tu ne vas pas en mourir, se répéta-t-il intérieurement en reculant. Tu ne vas pas en mourir. Tu savais que ça pouvait arriver qu’elle te repousse. Ce n’est pas comme si tu la méritais…
Il recula d’un pas, avec précaution. Il avait l’impression d’être un tison ardent qu’on aurait brutalement plongé dans les eaux du Norfendre.
Il pouvait partir, renoncer et tenter de l’oublier, ou faire comme avant… Mais la douleur était trop vive. Une fois n’est pas coutume, il avait besoin d’un conseil. Mais qui connaissait bien Lunev ?
Il songea immédiatement à la Chasseresse. Mais connaissant Lillenta, elle pouvait être n’importe où. Les frontières ne signifiaient pas grand-chose pour elle. Pour ce qu’il en savait, elle était peut-être aux Carmines ou à Uldum. Le problème était qu’il ne voyait personne d’autre. Qui donc saurait où la retrouver ? Lanval peut-être ? Non, il n’était pas un traqueur, et en plus il était parti…
Un traqueur. Le mot s’imposa à lui. Bien sûr qu’il en connaissait un… ou plutôt une. Un instant, il hésita. Mais rester ici à souffrir ne le tentait pas, pas plus que rentrer dans sa famille et se morfondre. Il avait besoin d’agir et, tant pis pour sa réputation de taciturne, de parler avec Lillenta.
Il savait où se trouvait le domaine Eclame. Darkena l’avait mentionné. Ça allait faire un sacré voyage, mais il ne se souciait guère de cela. Il partit à l’auberge ranger ses quelques affaires, espérant malgré lui que son départ soudain changerait quelque chose pour Lunev. Qu’il lui manquerait. Avant de se morigéner intérieurement.
Au moment de sortir, l’aubergiste l’interpella. Le draeneï se retourna et avisa l’elfe de la nuit qui marchait vers lui, une enveloppe cachetée à la main.
-C’est à votre nom, j’ai songé qu’il valait mieux que vous lisiez ceci avant de partir. Le courrier vient de passer.
-Je vous remercie.
Donatel s’empara de la lettre. Le sceau ne donnait aucune information sur l’expéditeur, banal ; il le brisa et sortit un parchemin.

« Dominici,
Puisque je t’avais donné l’emplacement du manoir, je t’informe que moi et Orionax l’avons vendu. C’est ironique, mais nous qui employions tant de mercenaires, nous allons nous y adonner nous-mêmes. Il faut bien vivre, et nos ressources sont épuisées. De plus, nous n’avons aucun bon souvenir ici.
Nous sommes passés par la Ville Basse de Shattrath pour renouveler des contacts, après avoir annulé des contrats à Baie-du-Butin, et y avons croisé Pratreï. Elle n’allait pas très bien, mais j’ignore pourquoi. Peut-être pourrais-tu passer et tenter de lui parler par la même occasion ? Si Lunev veut t’accompagner, qu’elle n’hésite pas. Nous logeons près de l’auberge principale, chez un ami.
A bientôt j’espère.
Darkena T’auzul »


Donatel resta incrédule. Ou la coïncidence était phénoménale, ou l’instinct de Darkena tenait du prodige parfois. Il esquissa un sourire, atténué par une légère inquiétude pour Pratreï. La jeune femme, si pieuse et discrète, n’attirait pas les ennuis d’ordinaire.
Le Redresseur de Torts retourna au Temple de la Lune le plus rapidement possible, esquivant les gens, concentré sur sa destination pour ne pas laisser ses pensées divaguer et sombrer dans la tristesse. Parvenu au niveau des jardins, il se dirigea vers quelques Bien-Nés, qui ne firent aucune difficulté pour lui ouvrir un portail et acceptèrent de bonne grâce la pièce qu’il leur tendit en les remerciant. Ensuite, sans regarder en arrière, il traversa le tourbillon aux couleurs changeantes.

Quand il disparut, à quelques mètres de là, une jeune elfe de la nuit s’effondra, en larmes.
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MessageSujet: Re: Liens mêlés   Liens mêlés EmptyJeu 21 Aoû - 15:21

Pratreï - L'orphelin

Je mis une seconde à reconnaître ma visiteuse.
C’était une elfe de la nuit que je connaissais depuis un bon moment, pourtant. Mais elle avait semblé tout juste adulte, bien que montrant une maturité et une intelligence plutôt remarquables, tandis que là, c’était une femme que j’avais sous les yeux.
Elle paraissait… accomplie. Ses iris doucement lumineux étaient limpides, sereins et alertes ; les deux tatouages mauves de son visage encadraient un regard félin. Sa peau plus beige que violette, marquée de rares cicatrices ici et là, était en partie couverte par une armure de cuir et de mailles aux couleurs de la forêt ; une fourrure douce et neigeuse couvrait la naissance de la poitrine et ses épaules. Apparemment, elle venait d’une région froide.
Je haussai les sourcils en avisant sa chevelure. Elle était lâchée, dessinant de longues ondulations miroitantes d’un blanc argenté superbe effleurant ses reins.
-Tu te laisses pousser les cheveux ?
Lillenta me sourit.
-Je suis contente de te revoir, moi aussi. Moi et Tempête pouvons entrer ?
Je sentis mes pommettes bleuir.
-Oh, pardon, j’ai été surprise… Bien sûr, entrez.
Je m’effaçai pour laisser entrer mon amie. La Chasseresse pénétra dans le petit logis, suivie de sa panthère. J’écarquillai les yeux. Tempête était énorme pour sa race ; il posa ses grands yeux bleu-doré sur moi et émit un drôle de ronronnement profond. Je le gratifiai d’une caresse légère et invitai l’elfe à s’asseoir avec moi au salon.
-Comment vas-tu ? me demanda Lillenta en s’asseyant.
-Je vais… bien, et toi ? Tu t’es remise de tout ça ? J’ai appris pour ta mère, je… je suis vraiment navrée que les choses se soient finies ainsi.
Elle soupira, et son regard se voila légèrement de tristesse.
-Moi aussi, Pratreï. Mais ça va. Pour la première fois, j’ai réussi à faire la paix avec moi-même.
Je la contemplai de nouveau. Voilà donc ce qui avait changé et qui transparaissait ; un charisme différent se dégageait d’elle.
-Tu veux boire quelque chose, peut-être ? proposai-je en me levant.
-Oh, n’importe quelle boisson fraîche.
-N’hésite pas à prendre ma chambre un instant si tu veux te changer… La température est clémente en ce moment.
-C’est gentil et pas de refus, sourit-elle en se levant à son tour. J’en ai pour une minute.
Je préparai deux jus de fruits ; quand je les posai sur ma petite table, l’elfe était de retour, vêtue d’un haut fermé par des lanières de cuir et d’un short laissant libres ses longues jambes. Elle s’assit en tailleur, rassembla ses cheveux en une demi-natte très souple et prit le jus de fruits en me remerciant.
-Je suis venue te voir parce que cela me fait plaisir d’avoir de tes nouvelles, bien sûr, mais Darkena m’a aussi demandée dans un courrier, avoua-t-elle en haussant les épaules. Tu savais qu’elle passait à Shattrath ?
-Oui, elle est arrivée hier soir avec Orionax. Nous avons dîné avec la famille de Dominici…
Je sentis mon sourire glisser lentement de mon visage en me rappelant la soirée. Malheureusement, Lillenta, évidemment, le remarqua ; elle inclina la tête sur le côté, curieuse. Je dus un peu baisser les armes.
-Je… je n’ai pas très envie d’en parler, Lil, excuse-moi.
-Je peux comprendre, me rassura l’elfe de la nuit. Par contre, je vais devoir laisser mon contact préféré de Shattrath quelques heures, j’ai… mettons des courses à faire dans la Ville Basse.
-Il arrive encore des réfugiés ces jours-ci, mentionnai-je, triste. J’essaie d’y passer pour aider l’infirmerie, mais… c’est dur. J’ai croisé un orphelin hier qui s’est accroché à ma robe et n’a pas voulu me laisser partir…
-Il a déjà bon goût, alors, plaisanta gentiment mon amie en se levant. Je reviens ce soir. Ah, et c’est moi qui ramène le dîner. D’accord ?
Je hochai la tête, et la laissai attraper une affaire ou deux dans ma chambre avant de ressortir, suivie de Tempête. Une fois seule, je sentis mes yeux se remplir de larmes, dont deux roulèrent sur mes joues.
Bien sûr que j’étais contente de revoir Lil, et l’accueillir était normalement toujours un moment que j’appréciais. Mais il n’était pas dans ma nature de devoir cacher ce que je ressentais aux gens ; j’avais déjà donné la veille avec Darkena, et j’appréciais très moyennement l’expérience.

J’avais rencontré la famille de Dominici quasiment par hasard, en mentionnant son nom auprès d’une connaissance qui se révéla être un de ses frères, Veltaar. Naturellement, il m’avait invitée chez eux pour raconter un peu ce qui nous était arrivé, et comment allait le draeneï. Ignorant s’il aurait voulu que sa famille soit au courant de ses évidents sentiments pour Lunev, je mentionnai juste qu’il était devenu ami avec une jeune elfe de la nuit adorable. Ç’avait été une soirée agréable, somme toute, pour un retour chez moi ; et puis une autre personne était arrivée, s’excusant de son retard. Il s’appelait Meshael et c’était l’aîné.
Je me souvenais encore de ma gorge serrée. Il portait une armure blanche et noire, frappée du sceau des draeneï sur l’épaulière gauche. Son visage était fermé, un peu sévère, alors qu’il était un jeune adulte, comme moi.
Je n’avais jamais ressenti ça. Être attirée, ainsi, par un inconnu. Je m’étais sentie bleuir. Le pire fut sans doute quand je remarquai qu’il avait cessé de respirer quelques secondes lui aussi ; puis l’instant gênant passa. Il alla passer des vêtements moins encombrants, et s’assit avec nous pour bavarder. Son bras frôlait le mien ; mes épaules crispées ne se détendirent plus de la soirée.
-Je suis allé soigner un orc et c’est là-bas que j’ai croisé Pratreï, avait de nouveau expliqué Veltaar.
Le visage de Meshael s’était encore plus fermé. Quand leur père avait pris congé pour aller se reposer, Veltaar s’était presque énervé.
-Tu devrais arrêter de te bloquer chaque fois que nous mentionnons cela. Ça attriste notre père plus qu’autre chose de voir que son aîné n’arrive pas à outrepasser…
-Ce qu’ils nous ont fait ? rétorqua le draeneï d’une voix basse et chargée de ressentis.
Apparemment, le dialogue avait eu lieu de nombreuses fois, et son frère se releva pour prendre congé rapidement, l’air furieux et triste. Je me sentis gênée. Je n’aurais pas dû être là, au milieu de cette querelle familiale.
Mais je restai seule avec Meshael.
-Excuse-nous, Pratreï – c’est cela ? dit-il sans me regarder. Je ne voulais pas provoquer ce débat stérile alors qu’il y avait une invitée, et connaissant mon frère, demain il va se répandre en excuses pour t’avoir laissée comme ça.
Un bref sourire traversa son visage. Je restai muette.

Ce souvenir datait d’il y avait plusieurs semaines, maintenant. Mais combien de fois depuis avais-je de nouveau croisé « par hasard » le guerrier ? Depuis un moment à présent, quand il me disait au revoir, sa main s’aventurait dans mes cheveux, ou bien caressait lentement ma joue. Cela suffisait à me donner des insomnies. Je me sentais mal. Pas parce que j’étais en train d’éprouver des sentiments jusqu’alors inconnus et qui étaient trop rapides pour moi, enfin, pas seulement. Mais j’avais l’impression d’échouer.
Ce draeneï était le plus vindicatif de tous ceux que je connaissais. Il s’enfermait dans son amertume, et parfois, je me demandais si ce n’était pas la Lumière qui avait voulu le placer sur mon chemin pour que je l’en délivre. Et je n’en étais pas capable, quand bien même j’avais de l’influence sur lui. Deux fois j’avais abordé le sujet avec toute la douceur dont j’étais capable, deux fois il m’avait répondu par des dérobades pleines de chagrin et de colère. Comme si je n’avais pas connu le traumatisme et le génocide que nous avait infligés le peuple orc…
Darkena avait bien vu mon état, la veille. Je manquais de sommeil, perdais l’appétit. Elle-même, pourtant relevée, avait gagné en confiance en elle avec Orionax et était redevenue la traqueuse redoutable qu’elle avait sans doute été de son vivant. Tout comme Lillenta, elle n’avait pas insisté quant à la cause de mes tourments ; mais Meshael, assis plus loin, avait détourné la tête. Lui devait avoir deviné et s’en vouloir, sans pour autant réussir à sortir de sa tour d’ivoire.
Je me relevai en soupirant, et plutôt que de ressasser mes idées noires, allai me préparer rapidement pour le soir. Je voulais faire simple, mais mes mains s’amusèrent d’elles-mêmes à relever mes ondulations blondes à l’aide d’un ruban blanc, et je me vêtis d’une robe que je ne mettais pas tous les jours ; je savais qu’il serait là, et je ne pouvais pas m’empêcher d’espérer sentir encore sur moi ce regard si inédit qu’il avait.
Lillenta rentra une heure avant le dîner, juste quand je finissais de prier, sa tenue toujours impeccable mis à part un coup de griffe profond sur la protection de l’abdomen.
-Un charmant arakkoa a voulu jouer avec moi, me dit-elle avec un grand sourire. Alors j’ai dû lui montrer les règles du jeu. Sinon, j’ai assez de viande pour nourrir correctement deux familles affamées ; un boucher est en train de préparer ça en échange du plus beau quartier. Et puis, ajouta-t-elle, j’ai récupéré ça, tu pourras le donner au petit orphelin dont tu m’as parlé.
Elle me tendit un objet en or déformé. Quelque chose que l’arakkoa avait volé, sûrement. Celui-ci l’avait-elle agressé comme elle le prétendait, ou s’était-elle lancée là-dedans uniquement pour récupérer ce que contenait son nid ? La vente de cette chose donnerait probablement à l’enfant de quoi vivre décemment un petit moment.
-Merci, Lil’, c’est vraiment généreux… Je lui apporte ça dès demain.
J’allai ranger précieusement l’or dans ma petite besace et la laissai siffler son familier avant de partir pour le lieu de rendez-vous, un endroit bien dégagé de Shattrath où Veltaar et Orionax avaient dressé la table. Quand Darkena s’avança, elle tenait un grand sac brun qui semblait peser lourd.
-J’ai fait pas mal d’achats aujourd’hui dans la Ville Basse, vous m’excuserez, je n’ai pas eu le temps de tout ranger, sourit la traqueuse.
-De quoi pallier aux sens atrophiés…
-que ces foutus réprouvés m’ont donné, oui. Tu vois, quand tu traques une empreinte du type…
Je m’éloignai, les laissant parler d’un sujet qui me dépassait. Orionax était assis, l’air pensif. Je pris place à côté de l’elfe de sang.
-Vous êtes venu chercher de l’équipement pour Darkena donc, dis-je tout doucement.
-Pas seulement, me répondit-il de sa voix basse en me gratifiant d’un sourire en coin. Nous avons vendu le domaine. Nous reprenons le mercenariat, mais cette fois-ci, c’est nous qui allons servir et empocher.
De loin, je vis Lillenta remercier le fameux boucher et déposer à table la viande, tandis que Meshael qui arrivait agrémentait la nappe de nombreux mets en accompagnement. A peine tout le monde s’était-il installé que Darkena lança ce qui me sembla être une bombe.
-Sinon, Lillenta, tu t’es aperçue que ton familier allait mourir ?

Seuls moi et Orionax avions aussi entendu la traqueuse. Lil’ resta calme, mais le regard qu’elle tourna vers son amie me fit frissonner.
-Pourquoi dis-tu cela ?
-Il a forcément été victime d’un poison ou d’une manipulation génétique, même si ça me semble étrange. Regarde-le ! Il aurait déjà dû arrêter de grandir, et puis quel âge a-t-il pour une panthère ?
Les regards se tournèrent vers l’énorme félin, qui semblait encore bien jeune. Il émit un léger grondement intrigué, Lillenta posa une main fine sur sa fourrure.
-Tu es sûre de ce que tu insinues ?
-Avec le nombre d’animaux que j’ai dompté étant vivante ? dit doucement Darkena avec tristesse. Ça m’étonne même que Nocturana n’ait rien dit, elle aurait dû le sentir aussi. Quelque chose cloche avec Tempête.
Lillenta avait légèrement pâli. Je ne la voyais pas sans Tempête. Autant lui arracher les deux bras.
-Je vais faire la liste de mes contacts susceptibles d’avoir touché à ma panthère, promit la Chasseresse.
On sentait que le gobelin ou le gnome ou qui que ce soit qui était à l’origine de la mutation de son familier allait avoir un accident du type définitif. Je déglutis.
-Peut-être la personne en question voulait-elle bien faire ? suggérai-je. Après tout, ça a l’air de lui allonger considérablement la durée de v…
-En en faisant un monstre ? demanda Orionax.
Lillenta émit un grondement en fixant l’elfe de sang, qui tressaillit.
-Je ne voulais pas dire que Tempête en est un, se justifia-t-il, mais si l’objectif du… manipulateur était d’en faire un, il ne s’y serait pas pris autrement. Regarde sa taille… Darkena a raison. Ce n’est pas normal.
L’énorme félin restait en tout cas souple et rapide, et fila se réfugier derrière sa maîtresse en grondant. Il n’avait pas l’air d’apprécier tous ces regards. Elle l’apaisa d’un geste.
-Je vais m’en occuper rapidement, Orionax, c’est dit, déclara-t-elle d’un ton qui ne souffrait pas de contestation.
Il y eut un petit silence, durant lequel tout le monde se servit ; puis Lillenta interrogea notre amie morte-vivante sur un type de filet qu’elle avait accroché à sa ceinture, et je me détournai des Chasseresses. Mon regard tomba presque immédiatement sur les yeux de Meshael, et je ne m’en détournai plus. Comme il ne regardait pas non plus autre chose que moi, il dut s’y reprendre à deux fois pour boire, amenant un sourire sur ma figure. Son regard sembla effleurer mes cheveux, ma robe, pour ensuite se raccrocher à mes yeux. Je finis par les baisser, à la fois parce que je me sentais bleuir et parce que je repensais aux batailles que le draeneï avait sûrement menées contre le peuple orc. J’avais vu l’insigne de l’Alliance gravé sur un écusson accroché à son épaulière droite.
Soudain, je le sentis regarder autre chose, derrière moi, et tournai aussi la tête pour voir ce qui amenait ce sourire sur son visage.
Dominici !
Je m’étais aussi habituée à ce surnom humain, et l’employais malgré moi tout le temps à présent. Le Redresseur de Torts marchait dans notre direction, l’air peut-être un peu moins serein que d’ordinaire ; il fut accueilli par des saluts et des gestes amicaux. Son père se leva pour le prendre dans ses bras.
-Tous mes fils sont là, articula le draeneï ; ça faisait longtemps…
Il le pressa de question sur ce qu’il avait bien pu faire jusqu’à maintenant, mais Dominici se déchargea auprès de Lillenta. Celle-ci lui jeta un regard de reproche, mais devant le regard fatigué et préoccupé de son ami, la belle elfe capitula et se lança dans un récit un peu édulcoré des aventures vécues les mois précédents.
Dominici s’assit à côté de moi, me faisant sursauter alors que je cherchais de nouveau son frère du regard. Je baissai immédiatement la tête.
-Tu vas bien, Pratreï ? me demanda-t-il en me fixant.
Sa façon de poser la question laissait entendre qu’il savait que quelque chose n’allait pas.
-Et toi ? esquivai-je.
-Ce n’est pas moi qui inquiète tous mes amis, sourit-il. Tu veux aller un peu marcher ?
J’acquiesçai ; j’avais à peine touché à mon assiette, mais personne ne me fit de remarque. Darkena et Meshael seuls semblèrent remarquer notre départ, mais je leur tournai le dos pour me lever.
Nous adoptâmes un rythme assez tranquille de marche. Il faisait plutôt bon, et Dominici n’était pas habillé de sa lourde armure ; quelques plaques souples protégeaient, par habitude, son torse et les deux tiers de ses jambes. Sa cape de Redresseur de Torts, bien en place, nous assura de traverser sans encombres la Ville Basse. Nous saluâmes deux gardes attentifs qui passaient, et finalement, un peu encouragée par son regard bienveillant quoiqu’inquiet, je me mis à parler.
-J’ai rencontré Meshael chez vous, en y dînant avec ton père et tes autres frères. Je… Je ne sais pas pourquoi il me fait cet effet-là, tu sais, et quand j’imaginais ça, enfin, je voyais plutôt un draeneï paisible et ouvert dans ce rôle.
Je piquai un fard, mais mon ami ne broncha pas, compréhensif.
-Je ne sais pas si je me fais des idées, mais il semble ressentir un peu la même chose, cette sensation bizarre quand je le vois, ces idées qui ne tournent qu’autour de l’autre quand il est absent…
-Tu ne te fais pas d’idées, me dit Dominici à voix basse. Je connais mon frère, il m’a fallu moins d’une minute pour le griller.
Je souris malgré moi, ce qui semblait être son but.
-Et qu’est-ce qui semble donc te rendre si malheureuse ? me relança-t-il. Rien ne t’empêche de tomber amoureuse de Meshael, c’est même beau, une histoire pareille.
-Je ne peux pas, chuchotai-je en sentant mes yeux s’emplir de larmes.
Il tressaillit, mais je ne cherchai pas à savoir pourquoi, plongée dans mes pensées.
Nous approchions de l’orphelinat. J’ouvris ma besace et cherchai des yeux le petit dont j’avais parlé à Lillenta, m’offrant par la même occasion un répit dans la conversation. Finalement, je l’aperçus ; c’était un enfant draeneï qui ne devait pas avoir plus de quelques années. Allongé sur une couchette de fortune, il paraissait dormir profondément. Je m’accroupis à côté de lui et caressai doucement ses cheveux noirs.
-Vous le connaissez ? demanda une voix féminine.
Je me relevai. Une draeneï brune à l’air fatigué me regardait ; je lui rendis son sourire aimable.
-Pas vraiment, non. J’étais passée soigner un enfant hier matin ici, et il était venu me voir… Je me demandais comment il allait.
Je sortis le bijou en or déformé et le mis dans la main de la draeneï, qui sourcilla.
-Mettez-le de côté pour lui, s’il vous plaît, demandai-je à voix basse. Il en fera l’usage qu’il voudra plus tard.
La femme hocha doucement la tête, et je la remerciai sincèrement. Me penchant, je déposai un baiser sur le front de l’enfant, qui ouvrit les yeux.
-Je t’ai réveillé ? me désolai-je tandis qu’il s’étirait.
-Non, bâilla le petit. Je rêve encore, si t’es là.
Je souris malgré moi.
-Il s’appelle Strenaar, m’informa la draeneï derrière moi.
-Que lui est-il arrivé ? demanda Dominici pour moi.
-Son père était resté sur Draenor pour protéger ceux qui fuyaient ; sa mère a été tuée il y a deux ans par un orc, mais… nous pensons qu’il s’agissait d’un accident. Nous n’avons pas trouvé trace du reste de sa famille…
Je regardai l’enfant s’asseoir et réclamer un câlin. Je lui ouvris les bras, et il vint se pelotonner contre ma poitrine, refermant les yeux, tête posée contre mon épaule. Je l’enlaçai et me relevai. Il semblait encore plus jeune ainsi.
-Qu’est-ce qui vous fait penser que c’est un accident ? demandai-je en chuchotant presque.
-D’après ce que nous avons retrouvé comme indices, il semble que l’orc ait été blessé par une bête sauvage ; la draeneï se serait précipitée pour tenter de le soigner, mais l’animal est revenu à la charge sur elle. Nous avons retrouvé son corps blessé mortellement et la bête tuée par deux flèches, mais plus trace de l’orc à part du sang… Elle a à peine pu expliquer l’accident et demander qu’on prenne soin de son enfant. Et puis…
Elle hésita ; Dominici inclina la tête sur le côté.
-Autre chose ? demanda-t-il.
-Tous les quelques mois, un orc vient ici déposer de l’argent pour cet enfant.
Je haussai les sourcils.
-Nous n’avons jamais réussi à lui parler, il se fait le plus discret possible lorsqu’il fait ça, et ses dépôts à la banque sur le compte du petit sont irréguliers.
Je regardai l’enfant. Son petit visage était apaisé et son souffle profond ; il me tenait chaud, mais je resserrai mon étreinte, comme si je craignais qu’il ne lui arrive quelque chose. Il s’était sûrement rendormi. Je n’avais pas envie de le laisser, mais je le redéposai sur sa couche le plus doucement possible. Malgré mes efforts, il rouvrit les yeux.
-Tu pars encore ? murmura-t-il.
Je sentis une boule se former dans ma gorge. Pourquoi cet orphelin s’attachait-il autant à moi ?
-Je reviendrai, promis-je spontanément en l’embrassant une dernière fois sur le front.
Il s’enfonça de nouveau dans des rêves que j’espérais paisibles, et je me redressai.
-Merci encore pour lui, me dit la draeneï brune avant que je ne reparte.
Je lui souris et sortis de l’orphelinat avec Dominici.
-Lillenta a pillé le nid d’un arakkoa plus tôt pour attraper ce bijou pour le petit, expliquai-je.
-Oh ? murmura-t-il sans davantage commenter, l’air radouci.
Au bout de deux autres minutes de marche silencieuse, je me vis dans l’obligation de poursuivre, même si je sentais déjà les larmes revenir, mes émotions avivées par ce que je venais de vivre.
-Tout le monde a l’air habitué à cette… rage qu’a ton frère. Cette amertume, cette haine contre les orcs…
-Nous avons énormément souffert à cause de leurs erreurs, me répondit Dominici.
-Mais nous n’avons pas à haïr ainsi toute une race de cette façon… Et puis, Dominici, franchement, regarde ton frère ! ça le tue plus qu’autre chose !
Je m’étais arrêtée de marcher ; les larmes dégoulinaient sur mes joues.
-J’ai essayé de lui parler, qu’il commence à leur pardonner ; à réfléchir, à s’apaiser… Mais rien n’y fait, tu vois, je ne suis même pas capable de ça…
Dominici soupira, l’air un brin mal à l’aise devant mon chagrin.
-Pratreï, souffla-t-il, arrête de te torturer comme ça. Meshael est ainsi depuis notre exil, et ça ne l’empêche pas d’être quelqu’un de bon.
-Mais il se fait mal tout seul à s’enfermer ainsi dans sa répulsion ! Je n’ai jamais rencontré un draeneï aussi engagé contre la Horde, comment pouvez-vous le laisser…
Je m’arrêtai avant de prononcer des mots qui auraient dépassé ma pensée. Dominici baissa la tête un instant.
-Nous savons bien qu’il souffre de ce trop-plein de tourments qu’il refuse de partager et de laisser s’écouler, avoua enfin mon ami. Mais personne n’a encore réussi à le convaincre d’aller voir un Anachorète. Toutefois, si un jour nous voyons qu’il va trop loin, j’irai carrément avec d’autres le rechercher, même si pour cela il faut aller en plein cœur des batailles entre l’Alliance et la Horde. Je te le promets, Pratreï.
-Mais ce ne sera pas moi, cet Anachorète, murmurai-je. Je suis trop faible, c’est ça ?
-Mais tu ne peux pas porter le monde sur tes épaules ! me raisonna le Redresseur de Torts en me les attrapant. Tu es encore jeune et tu n’es pas encore assez expérimentée pour prendre en charge une telle douleur, ma sœur…
Je me crispai malgré ses paroles. Je me sentais faible. Inutile.
-En revanche, dit doucement Dominici en retrouvant un peu le sourire, peut-être que toi, tu arriveras à le convaincre de parler à un Anachorète. Ça sera douloureux pour lui de devoir se confier ainsi, mais si toi aussi tu lui dis que c’est nécessaire pour qu’il cesse de – comme tu dis si justement – s’enfermer dans son amertume…
Je hochai lentement la tête, puis séchai mes larmes avant de revenir vers les autres. En me rasseyant à la table, je perçus le regard de Meshael sur moi mais, cette fois, je ne l’affrontai pas et passai le reste de la soirée plongée dans mes pensées.

Je passai la nuit entre prières et somnolence. Au petit matin, je pris un bain à peine tiède pour me réveiller. J’avais un début d’idée. Je bleuissais rien qu’à penser à ce que j’allais faire et dans quel but, mais quand je sortis de l’eau et me séchai, je pris quand même mon temps pour m’apprêter. Et finalement, j’appréciai de prendre un peu soin de moi. On me disait jolie. Je soulignai mon regard d’un trait doré et ajoutai un bijou à mes ondulations blondes, puis enfilai une tenue mauve et blanche. J’espérais que ma nuit sans sommeil ne se voyait pas trop sur mon visage. Enfin, je sortis de chez moi. Lillenta n’était pas là ; elle était sans doute sortie dormir en pleine forêt, à l’écart de la ville… On ne savait jamais, avec elle.
Je détachai le licol de mon ellek habituel et grimpai sur son dos avant d’avancer vers la demeure du père de Dominici ; Meshael vivait, d’après ce que j’avais compris, à Hurlevent d’ordinaire, mais restait ici quand il passait à Shattrath.
Ce fut lui qui m’ouvrit. J’eus la satisfaction de voir ses yeux s’écarquiller une seconde avant que son habituel air sévère ne refasse surface.
-Je ne dérange pas ? demandai-je en m’efforçant de ne regarder que ses yeux.
-Bien sûr que non, répondit-il immédiatement. Tu as besoin de quelque chose ?
-Je voudrais aller quelque part… Mais promets-moi de venir avec moi.
Il arqua un sourcil, puis promit, avant de retourner chez lui le temps de prévenir son père. Enfin, il sortit.
Il était décidément grand, encore plus que Dominici. Nous parlâmes de tout et de rien en allant vers la Ville Basse, mais je ne pus m’empêcher de remarquer qu’il souriait souvent, chose rare chez lui. Il n’eut pas besoin d’emblème de Redresseur de Torts pour se faire respecter quand nous commençâmes à croiser les habituels voleurs à la tire. Son maintien, son air strict, la musculature de ses bras ne promettaient pas particulièrement la clémence s’il attrapait quelqu’un ayant tenté de me voler ma besace.
-Meshael, commençai-je lentement, la gorge nouée par l’appréhension. Je voudrais te demander quelque chose.
-Ce que tu voudras, répondit-il naturellement, l’air un peu surpris.
Ravalant ma peur, je lâchai ma question.
-Même s’il s’agissait de voir un Anachorète pour lui parler ?
Il s’arrêta de marcher. Son regard gagna en dureté en quelques secondes, et me glaça. Je ne savais pas comment il regardait ses ennemis sur un champ de bataille, mais ça ne pouvait pas être bien plus terrible… si ?
-Tu ne vas pas t’y mettre aussi.
Sa voix était plus basse que d’ordinaire, et pourtant toujours si familière, comme si je le connaissais depuis une éternité et non pas quelques semaines.
- Il ne s’agit pas de te faire mal ou de poursuivre une idée fixe, le priai-je en me rapprochant de son corps statufié. Meshael, moi aussi je pense que c’est le seul moyen pour…
-Pour quoi ? Que je cesse de combattre les monstres nous ayant tout pris ? Toi aussi, tu as forcément été touchée par ce que ces sauvages nous ont fait ! Je fais ce que je pense juste… et je suis bien ainsi.
Ses derniers mots avaient la saveur d’un mensonge. Mais ce n’était pas à moi de lui extirper la vérité et de soulager cette souffrance, cette rancœur qu’il maintenait soigneusement enfermées en lui depuis des années.
-Pourquoi est-ce qu’il faut que tu t’y mettes ! explosa-t-il enfin.
-Parce que je tiens à toi, murmurai-je.
Il ouvrit la bouche, mais pendant plusieurs secondes, plus aucun mot n’en sortit. Il amorça un geste comme pour m’enlacer, mais je me dégageai.
Il tourna les sabots.
-Attend ! criai-je. Tu as promis de venir avec moi !
Il s’arrêta, puis revint. Je devais être plus blanche que bleue, mais sans rien ajouter, je me mis à marcher beaucoup plus rapidement vers l’orphelinat ; Meshael me suivait, comme une ombre protectrice. Une fois arrivée, à peine étais-je entrée que Strenaar se précipita vers moi et m’enlaça fermement une jambe, ses petits sabots posés sur le mien. Il agrippa ma queue d’une main et m’adressa un grand sourire.
-T’es là ! s’écria-t-il d’une voix trop aigue.
Je ne pus m’empêcher de lui sourire aussi, puis me baissai pour le prendre dans mes bras et me tournai. Meshael recula d’un pas, puis sa sévérité sembla fondre d’un coup en nous contemplant. Il parut plus jeune, lui qui semblait toujours avoir un siècle de plus que moi.
-C’est ton mari ? chuchota Strenaar dans mes cheveux.
-Non ! protestai-je en riant.
-Mais si ! s’égaya le petit. Tu crois qu’il peut soulever une maison ?
Je levai les yeux au ciel et cherchai des yeux la femme brune de la veille. Ce fut elle qui m’aperçut en premier et me fit signe.
-Vous venez voir votre petit protégé ? demanda-t-elle avec un sourire.
-J’aurais un autre service à vous demander, avouai-je tandis que Strenaar se faisait déposer à terre et courait voir mon ami. Je voudrais que vous disiez au draeneï qui m’accompagne ce que vous m’avez dit la veille à propos de l’enfant.
La draeneï cilla, mais obtempéra.
-Eh bien, comme je l’ai dit à votre amie hier, le père de Strenaar est mort en protégeant ceux des nôtres qui fuyaient les massacres. Quant à sa mère, elle a voulu soigner un orc blessé, mais l’animal que ce dernier combattait l’a tuée.
Meshael avait retrouvé toute sa colère noire ; plus aucune tendresse ne se lisait dans son regard. Du mien, je suppliai la femme de poursuivre, tandis que l’enfant courait jouer plus loin.
-Régulièrement pourtant, nous enregistrons des dons pour Strenaar en provenance d’un orc. Tous les deux ou trois mois.
Meshael me regarda, l’air de se demander si c’était une mise en scène. Il semblait abasourdi et méfiant. Il adressa un salut à la draeneï et ressortit aussi sec. Soupirant, je courus après lui.
-Pourquoi fais-tu tout cela ? murmura-t-il en me tournant le dos.
-Je te l’ai dit… Je t’en prie, nous ne pouvons pas te laisser ainsi.
Lentement, je le contournai pour ensuite lui faire face. Il tentait de conserver son air imperturbable, mais le masque se craquelait.
-Parfois, Pratreï, murmura-t-il, c’est plus simple de ne pas faire d’efforts pour pardonner. Peux-tu comprendre que je craigne d’encore souffrir, à devoir revivre tout ça, en parler… ?
Je n’avais pas de réponse. Je ne pouvais pas comprendre une haine aussi profonde, quand bien même sans la catastrophe générée par les orcs j’aurais encore mes deux parents en bonne santé à mes côtés. Je déposai un baiser léger sur sa joue ; il répondit par un autre à la commissure de mes lèvres, qui me fit frémir.
-J’ai une condition, dit-il finalement.
-Je t’écoute, dis-je après une hésitation, intriguée.
-Je voudrais te revoir avec cet enfant…
Abasourdie, j’obtempérai et appela Strenaar, qui courut se jeter dans mes bras sans poser de questions. Ensuite, je me tournai vers Meshael qui nous regarda, un demi-sourire pensif accroché à ses lèvres.
-A quoi penses-tu ? demandai-je tandis que le petit enfouissait son visage dans mes cheveux.
-Plus tard, éluda-t-il.
Il s’approcha de nous, déposa un baiser sur mon front et fit demi-tour en direction de la Terrasse de la Lumière.
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MessageSujet: Re: Liens mêlés   Liens mêlés EmptySam 4 Oct - 12:45

Lanval - Tentation


Allongé sur le côté, appuyé contre le matelas sur un avant-bras, il laissait sa main caresser doucement le bras de la jeune femme. Elle dormait, sa chevelure étalée autour de son visage comme une vague sombre et brillante. Son visage semblait apaisé.
Lanval hésitait souvent entre la regarder sans l’effleurer ou oublier ses bonnes résolutions pour tenter de l’embrasser. Elle semblait devenir un peu plus perméable à ses efforts pour se rapprocher d’elle, et il ne souhaitait pas tout gâcher, maintenant que la Faux d’Elune ne l’obsédait plus.
La caresse sur son bras finit par tirer un peu Lædera du sommeil. Elle cilla, s’étira, tourna la tête ; son regard bleu tomba sur le worgen qui, l’air de rien, s’étira aussi, mettant en valeur la musculature de son torse. La jeune femme sembla déconcentrée un instant puis accrocha son regard au sien sans plus s’en détourner. La petite lampe posée dans un coin de la pièce dispensait une faible lumière, donnant un reflet cuivré à la chevelure de l’homme.
-Je t’ai réveillée ? murmura-t-il.
Ils avaient déjà dormi ensemble, mais avec les autres Aventuriers tout autour. La différence était palpable.
-Ce n’est rien, répondit Lædera. Tu devrais te reposer aussi, tu sais.
-Tu comptes me dire un jour ce que nous faisons dans une auberge quasiment clandestine en Kalimdor ?
-Peut-être, sourit la Démoniste qui visiblement s’amusait de la situation.
Lanval se pencha, déposa un baiser sur son front ; la jeune femme ne réagit pas, comme si elle n’avait pas senti le geste. Les baisers descendirent lentement jusqu’à la commissure de ses lèvres.
-Toujours pas ? murmura le worgen.
Lædera tourna un peu la tête et le regarda comme si elle voulait sonder ses prunelles de brume si changeantes.
-Réfléchis un peu, dit-elle à voix basse.
-Tu as décidé de te procurer une bague en diamant issu de contrebande dans le coin et tu veux mon avis.
La démoniste leva les yeux au ciel, sans parvenir à étouffer complètement un sourire ; elle tenta de le fusiller du regard.
-Le prend pas comme ça, chérie. C’est déjà oui, lança le worgen avec un grand sourire.
Sa provocation délibérée fit rire la jeune femme malgré elle.
-Tu n’es pas un peu trop sûr de toi, là ? répliqua-t-elle en se redressant, la couverture glissant de ses épaules.
-Moi ? Jamais, tu me connais.
-Justement.
Lanval abaissa son regard malgré lui sur la bouche de la démoniste, qui arborait un demi-sourire amusé. Il s’obligea à détourner les yeux et se concentra. Qu’est-ce qui avait bien pu amener Læ à partir si vite de Darnassus et à l’emmener là ? Il avait vu la jolie brune emmener une besace avec quelques affaires et des lettres, rien de plus, ce qui ne l’avait pas aidé à comprendre ce qu’elle trafiquait.
Lædera se rallongea ; le worgen sentit ses épaules se crisper à force de s’obliger à regarder ailleurs. Il manquait de pratique, se morigéna-t-il. Ce devait être la première fois qu’il n’était pas certain de son charme avec une femme. Il ignorait comment faire avec une qui ne semblait pas pressée de se laisser embrasser… et dont il était pourtant complètement amoureux.
-Je vais sortir un peu m’aérer, lâcha-t-il en balançant ses jambes hors du lit immense.
-Je te rejoins si je n’arrive pas à me rendormir.
Lanval ouvrit son sac de cuir pour en sortir une chemise de lin noir qu’il enfila. Puis, sans se retourner, il sortit du gîte.
Le petit village avait des allures louches. Ce n’était pas une ville gobeline, mais on sentait qu’aucune faction n’avait vraiment d’autorité sur l’endroit. Une taverne, les portes ouvertes, lui faisait face ; le worgen s’y dirigea, sans cesser de réfléchir.
Il n’y avait pas foule à l’intérieur, mais une quinzaine de personnes était déjà présente. La plupart des gens parlaient en petits groupes, à voix basse, et le tavernier jaugea Lanval d’un œil suspicieux avant d’accepter de lui vendre une bière douce. Le worgen s’accouda au comptoir, l’air parfaitement à l’aise. Son regard de brume s’assombrit légèrement au fur et à mesure que ses pensées allaient à ses amis, dont il n’aurait plus de nouvelles tant que Lædera l’entraînerait ainsi avec elle vers il ne savait où.
Or, le manque d’informations n’était pas du tout quelque chose qu’il affectionnait. De son point de vue, c’était l’une des choses les plus redoutables, vestige de son service dans l’armée. Il but une gorgée de sa bière en supputant les motivations de la démoniste, et se résolvait à retourner la voir quand une main se posa, caressante, sur son bras.
Il tourna la tête et avisa la demoiselle qui lui souriait. En une minute, il avait détaillé le visage en cœur, la chevelure ondulée d’un blond changeant et la silhouette habillée de rouge. Il aurait bien répondu au sourire, offert un verre. Mais un regard bleu, pétillant, se superposa au visage devant lui, qui devint brusquement fade et il détourna les yeux.
-Excusez-moi, dit à voix basse la femme. Vous me semblez bien seul. Vous ne voudriez pas vous joindre à moi ?
Quel mal y aurait-il à cela ? se demanda-t-il. Après tout, il n’était pas en couple avec Lædera. Elle n’avait pas l’air de vouloir de lui eh bien, tant pis pour elle. Un raisonnement tentant, mais qui ne viserait qu’à lui donner bonne conscience pour quelques heures.
-Non, merci bien, répondit-il d’une voix chaude. Je préfère savourer ma bière seul.
-Quel dommage, minauda la blonde en s’accrochant davantage à lui. Vous pourriez au moins m’offrir un verre en dédommagement?
Lanval émit un son à mi-chemin entre le soupir et le rire.
-Allez demander à quelqu’un d’autre, ma belle.
-Allons, Lanval, lança une voix claire, tu ne vas pas refuser un verre à mademoiselle ?
Le worgen pivota immédiatement vers la porte d’entrée. D’un pas tranquille, vêtue d’une robe carmin resserrée à la taille, Lædera s’avança vers le comptoir et commanda un cidre, l’air de ne plus prêter aucune attention à son ami et à la blonde qui s’accrochait à lui. Lanval lui adressa une grimace de désespoir, elle se contenta de siroter une gorgée sans y répondre, un petit sourire en coin.
Le worgen plissa les yeux. Parfait, si elle voulait jouer…
-Bien sûr, dit-il soudainement. Je ne pourrais pas laisser une telle demoiselle sans lui offrir ce qu’elle me demande…
La blonde roucoula et se blottit contre l’homme, qui ne broncha pas. Ce n’était pas comme si le contact était désagréable. Quoique, peut-être un peu… brûlant. Au sens propre. Il s’écarta d’un pas et écarquilla les yeux. Une boule de feu venait d’enflammer la tunique de la malheureuse, qui se mit à piailler, reculant à toute vitesse.
-Oh, navrée, sourit Lædera, il y avait une grosse mouche sur votre robe !
Royale, elle déposa une pièce sur le comptoir et fit demi-tour, ses boucles brunes cinglant l’air. Lanval termina sa bière d’une gorgée et fila à sa suite. L’air frais de la nuit qui arrivait lui fit du bien ; il attrapa le bras de la jeune femme alors qu’elle arrivait près du gîte.
-Pourquoi as-tu fait cela ? demanda-t-il d’un ton moins doux qu’il ne l’aurait voulu.
-Parce que, ça m’amusait, répliqua calmement la jolie brune en le défiant du regard.
Lanval la fixa dans les yeux, tentant de déchiffrer ce qui se cachait derrière les prunelles bleues ; il prit brutalement conscience qu’elle était là, presque contre lui, qu’elle ne se débattait pas. Elle le regardait, simplement, haussa les sourcils, l’air de se demander quel était le problème avec lui.
Il posa son front contre le sien, son bras s’enroula autour de la taille de la démoniste, la rapprochant de lui. Son nez effleura le sien, sans qu’elle cherche à se dégager ; la tentation eut raison de sa volonté de rester sage. Ses lèvres touchèrent les siennes, doucement, puis sa main passa sous la masse de cheveux noirs de la jeune femme pour rapprocher encore son visage du sien. Lædera se blottit contre lui et lui rendit son baiser, une sensation que le worgen n’espérait pas ressentir ; il se pencha davantage en avant, la saisit dans ses bras pour la porter en mariée, arrachant une inspiration brusque de surprise à la jeune femme. Il passa la porte du gîte et ne la relâcha qu’une fois à l’intérieur ; la démoniste retourna dans ses bras, Lanval la pressa contre lui, fermant les yeux quand elle prolongea le baiser.
Il souleva doucement la chevelure noire pour déposer des baisers dans sa gorge, puis s’interrompit quand ses lèvres approchèrent de son oreille.
-Alors, murmura-t-il, je peux savoir ce qu’on fait ici maintenant ?
Lædera poussa un long soupir un brin agacé. Souriant, le worgen déposa un autre baiser dans son cou.
-Mmm… Bon, d’accord, lâcha la jeune femme.
Elle s’écarta un peu pour le regarder dans les yeux ; il la laissa faire, sans relâcher complètement l’étreinte de ses bras autour d’elle.
-Je veux retrouver Elvyr.
Lanval écarquilla les yeux, oubliant pour l’heure son envie de l’embrasser de nouveau.
-Læ… Retrouver ton frère ? Personne ne sait ce que Lindhe a décidé quand ils se sont retrouvés – s’ils se sont effectivement retrouvés…
-Justement, s’entêta la démoniste. Tu croyais quoi, que j’allais le laisser courir un risque pareil et me résigner à ne plus le revoir je ne sais combien de temps ?
-Elvyr est un excellent combattant et il a un cerveau en état de marche. Fais-lui confiance.
Lædera croisa les bras. Lanval fronça le nez.
-Tu n’en feras qu’à ta tête, c’est ça, devina le worgen sans même adopter un ton interrogatif. Et comment comptes-tu t’y prendre ? Réunir des contacts pour retrouver quelqu’un, c’est la spécialité de Lillenta.
-Tu veux m’aider, oui ou non ? répondit simplement Lædera doucement.
-Tant que tout cela n’est pas un complot pour que j’achète cette fameuse bague en diamant issue de la contrebande…
Lanval lui sourit, elle craqua et sourit également ; mais Lædera restait soucieuse, ce que le worgen comprenait tout à fait, à présent. Il la rapprocha de lui et posa son menton sur sa tête, une de ses mains caressant doucement son dos.
-Je ne cherche pas à être rassurée, insista la jolie brune. Je…
-Tu veux le retrouver et le premier qui tente de t’en empêcher périra dans d’atroces souffrances, prophétisa Lanval d’un ton morne. Quelles sont les ordres de ma démoniste préférée ?
-J’ai eu plusieurs idées, dit lentement Lædera en réfléchissant. Mais il y en a peu de valables, le climat est tendu autour des réprouvés et de la Horde.
-Avec la révolte qui gronde…
-Justement. Nous n’avons pas perdu tout contact avec Jin’teran ; je ne pense pas qu’ils tireront à vue. Mais comment les retrouver…
-Ce n’est pas stupide, admit Lanval. Il est assez indépendant pour nous recevoir et assez proche de la Horde pour pouvoir se renseigner… ou même joindre ton frère et lui signaler que tu es là.
-J’ignore qui contacter.
-Il faut écrire le plus rapidement possible à Lil’. Elle repasse régulièrement par Darnassus, nous aurons sûrement une chance de la contacter de cette façon. Précise que tu as besoin d’un nom, elle comprendra.
A regret, Lanval laissa Lædera s’éloigner pour prendre de quoi écrire ; la missive fut rapidement rédigée, et elle franchit le seuil pour aller la confier à un messager rapidement. Quand elle revint dans le gîte, Lanval la plaqua contre lui et se fit un devoir de lui changer les idées quelques heures.
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MessageSujet: Re: Liens mêlés   Liens mêlés EmptyMer 19 Nov - 18:18

Lillenta - L'expérience

La flèche fila se planter droit dans la cible, ratant le cœur de peu.
-Abaisse ton coude, Lunev. Voilà. Recommence.
La seconde se ficha au milieu du mannequin de bois, faisant vaciller le socle de ce dernier.
Lillenta se tourna vers son amie et lui sourit. La Prêtresse novice eut un peu de mal à le lui rendre, et contempla son arc rudimentaire en baissant la tête.
-Je vais être la seule Prêtresse de la Lune aussi lamentable, soupira Lunev.
La Chasseresse face à elle croisa les bras sous sa poitrine.
-Ah non, ne recommence pas. D’accord, tu as choisi d’accorder beaucoup plus d’intérêt à la théorie et aux soins qu’à autre chose ces dernières décennies, ça ne veut pas dire que tu ne seras pas, un jour, aussi montée sur un sabre avec arc à la main. Tu te débrouilles aussi bien que n’importe quel kaldorei avec ces flèches, et je suis sûre que tu vas trouver ton sabre dans les semaines qui viennent.
-Et si…
Tempête émit un bâillement rugissant qui empêcha l’elfe de la nuit de finir sa phrase et fit sourire sa maîtresse. La lune les éclairait parfaitement bien, en bordure de Darnassus ; Lillenta s’éloigna le temps d’aller boire quelques gorgées d’eau de la rivière.
-Comment c’était, Shattrath ? demanda finalement la voix presque chuchotée de Lunev.
-J’étais heureuse d’y retourner. Et puis, ton draeneï préféré y était.
-Ce n’est pas !...
Lunev eut un hoquet, ses yeux s’emplirent de larmes ; elle posa l’arc à terre et s’entoura de ses bras. Son amie avait fait exprès, bien sûr, pour amener un sujet qui restait problématique.
-Tu lui manques.
La voix de Lillenta était beaucoup plus sérieuse d’un coup, basse et douce. L’elfe bondit sur le pauvre mannequin empalé, puis sur une branche basse d’un arbre dont le feuillage ondulait.
-Je ne sais pas si tu réalises comme tu lui fais mal, Lunev.
Les larmes de la Prêtresse débordèrent et roulèrent sur ses pommettes mauves. Son regard désespéré fit de la peine à la Chasseresse, qui s’assit sur sa branche sans en démordre.
-Je sais que blesser quelqu’un est la dernière de tes intentions. Mais le laisser ainsi dans l’hésitation…
-J’ai dit non, contra Lunev en maîtrisant un sanglot. C’est clair il me semble.
-En quoi tes mots sont-ils un gage que tu n’as pas de sentiments ?... Personne ne s’y trompe. Même pas toi, sinon tu ne serais pas dans cet état.
-Je veux devenir Prêtresse de la Lune, me dévouer à Elune. Elle seule. Elle m’a sauvée…
Lillenta resta silencieuse un instant avant de reprendre la parole.
-Parles-tu de l’épisode du Bois de la Pénombre, ou… Au songe qu’a eu ta mère – à ce qu’on raconte – avant de te déposer à un temple…
-J’ai repris des recherches rapides sur ma famille, murmura Lunev en caressant Tempête. Leur nom n’était pas un secret, même si on m’a laissée… hum…
-Faire le caprice de vouloir t’appeler Murmevent.
Lillenta eut un bref sourire ironique, en réponse de quoi la jeune kaldorei lui tira la langue entre ses canines.
-Je ne suis plus une enfant. Je vais reprendre le nom de ma mère. Whisprayer.
-Mmh… je songe également à me prendre un nom, mais à moi. Et refaire mes marques.
Lunev écarquilla les yeux et regarda Lillenta différemment. La lune l’éclairait suffisamment pour que la jeune kaldorei y voit parfaitement bien. Elle sentit sa gorge se serrer. Indéniablement, Lillenta avait changé.
Il fallait d’ordinaire bien du temps pour qu’un elfe de la nuit se sente adulte ; mais ces derniers mois avaient affecté la fille de la Gardienne de la Faux bien plus que Lunev ne le pensait. Lillenta avait toujours été un peu étrange, pas dans la norme des elfes de la nuit, elle qui s’était repliée sur elle-même après la mort de son père au point d’avoir une indépendance étonnante vis-à-vis des siens. Cela n’avait pas changé… Non, le seul qui aurait pu ainsi l’affecter était peut-être le Chevalier de la Mort, Elvyr. Lunev frissonna en y repensant. Elle estimait l’homme qui les avait aidées, mais la non-mort restait pour elle quelque chose d’atroce, encore plus que pour son amie visiblement. Pourtant, d’après ce qu’elle pensait savoir, ces deux-là ne s’étaient guère rapprochés.
Franche, elle livra ses réflexions à son amie, qui pinça les lèvres.
-Mais c’est justement ça qui a dû marquer l’évolution que tu notes, dit lentement Lillenta. J’ai dû… m’accepter. Ça passe par accepter mes deuils, mon amour pour lui que je vais devoir enterrer. Ça a fait beaucoup d’un coup, mais ça m’a forcé à relever la tête et rester debout sur mes deux jambes, consciente – et même fière – de qui je suis.
-Donc…
-Oui, notre peuple me considère comme adulte à présent. Ce genre de changement se perçoit entre nous, tu le sais bien. Je suis à présent traitée comme telle depuis peu et je passerai donc les rites en conséquence.
Lillenta sourit à Lunev, qui semblait contente de la nouvelle ; c’était toujours un petit évènement à célébrer.
-Nous les passerons ensemble, alors ?
-Je ne sais pas si tu peux te sentir pleinement adulte avant d’être passée par cette épreuve qui te tourmente tant.
-Dominici… Lil’, écoute… Si Elune m’a permis de vivre en son peuple, en son nom…
-Tu peux être promise à être une Prêtresse et aimer un homme bon, il me semble.
Lillenta changea de nouveau de ton en se laissant tomber d’une brève roulade à terre ; sa voix s’effrita malgré elle.
-Toi, tu peux l’aimer. Un homme qui a des sentiments profonds pour toi, qui sera toujours là, qui aura le droit de l’être. Tu as… tu as à portée de main tout ce qui me manque. Et tu refuses.
Lunev s’immobilisa. Elle entrouvrit les lèvres, mais n’avait rien à répondre à cela. Elle leva automatiquement les yeux vers la lumière argentée de la lune, visiblement en proie au doute et au chagrin.
Le calme avait repris possession du regard lumineux de l’archère braqué droit sur elle.
-Continue de t’exercer, reprit cette dernière d’une voix soudain chaleureuse comme s’il ne s’était rien passé. La prochaine fois que je serai là, tu seras aussi bonne archère que moi, compris ?
Lunev fronça son joli nez, visiblement pas du tout convaincue ; la Chasseresse ignora sa moue et courut droit vers la forêt. La dernière image qu’en eut la Prêtresse fut Tempête qui se jetait sur elle, provoquant un méli-mélo de fourrure et de peau rosée.

Au bout de deux heures de course dans les forêts de Teldrassil, Lillenta ralentit le rythme. Légèrement essoufflée, elle se faufila derrière un rocher, puis un rideau de verdure donnant sur un abri de chasse. Quelques autres kaldorei l’employaient parfois ; formé dans du bois vivant, il était ombragé et calme. Lillenta caressa le bois du bout des doigts un instant, avant d’ouvrir la porte d’une armoire marquetée. En contemplant les effets personnels qu’elle y avait stockés pour quelques jours, elle resta silencieuse. Son regard pensif tomba sur un croc brillant, accroché à une cordelette très fine, qu’elle passa à son cou en souvenir de son ancienne monture. Elle se tourna vers Tempête.
Les mots de Darkena tournaient en rond dans son esprit. Comment avait-elle pu ne pas y penser tout ce temps ? Sa gorge se noua. Sa panthère était trop grande, trop renforcée, mais tout en souplesse ; la fourrure douce se plissa lorsque Tempête bâilla, dévoilant ses crocs étincelants. Les yeux bleu-doré la fixèrent avec curiosité.
Lillenta se mit à genoux et ouvrit les bras ; son familier posa sa grosse tête sur son épaule et émit un profond ronronnement quand sa maîtresse enfouit sa figure dans son cou.
-Je vais retrouver le type qui a osé te toucher, gronda la Chasseresse avant de se relever.
Elle ne portait pas grand-chose. Un pagne kaldorei, une épaulière unique de métal planté de crocs, reliée à l’autre épaule par des chaînes fines. Sa poitrine était sanglée de cuir souple, auquel étaient suspendus des symboles d’Elune. Prendre un peu de temps avec son peuple lui avait fait du bien. S’y ressourcer, comme elle se ressourçait dans la nature, renouer avec une des multiples parts d’elle-même.
Un bruit, derrière elle.
Lillenta attrapa son couteau de chasse qui traînait à moins d’un mètre d’elle, sur le qui-vive. Toutefois, une seconde plus tard, elle identifia un bruit de marche – souple, presque familière.
Un Chasseur entra dans l’abri l’arc à la main.
Il semblait légèrement fatigué en posant son arme ; ses sourcils se haussèrent quand il avisa l’elfe face à lui, dont les longs cheveux argentés ondulaient sur la peau découverte. Son regard glissa sur les hanches de la jeune femme avant de s’accrocher au sien.
-Bonjour, finit-il par dire.
-Dralion… ça faisait quelque temps.
-Deux ans, quelque chose comme ça.
Lillenta acquiesça en silence. Elle le connaissait sans qu’il soit un contact régulier, mais l’estimait. L’archer était doué, un peu sauvage ; la teinte de ses cheveux et de sa barbe rappelait les sous-bois. Dralion ne posa pas de questions sur ce qui l’avait occupée tout ce temps.
-Je reviens d’Orneval, soupira l’archer en retirant le harnais léger qu’il portait ainsi que son carquois. Plusieurs de nos sanctuaires étaient en danger. Nous avons un peu rétabli l’équilibre, mais il reste précaire.
Lillenta capta son regard soucieux et posa une main apaisante sur son bras.
-Les Sentinelles ont besoin d’aide. Tu pourrais faire la différence… Tu es réellement douée, même pour la norme des Enfants des Etoiles.
Il esquissa un sourire ; la Chasseresse se détourna pour détacher son haut de cuir et lacer un corset de chasse complexe.
-J’irai peut-être quand je reviendrai.
-On a vu des sin’dorei dans leurs rangs…
L’elfe serra les mâchoires. Lillenta comprenait ce qu’il voulait dire. Les forestiers étaient parmi les seuls à pouvoir rivaliser avec les archers kaldorei. Le dégoût, le mépris qui avaient animé la voix de son camarade ne lui avaient pas échappé ; elle retint un soupir et termina de sangler ses longues jambes.
-J’admire ton calme, gronda Dralion.
Sa réflexion arracha un gentil rire à Lillenta. Ce n’était pas par maîtrise d’elle-même qu’elle réfrénait une haine des sin’dorei, c’était par absence d’une antipathie aussi forte que la sienne.
Un bras s’enroula soudain autour de sa taille ; son dos heurta sans brutalité les abdominaux de Dralion. L’archer caressa une de ses oreilles de ses lèvres avant de descendre sa main sur sa joue, puis sa gorge. La sensation, loin d’être désagréable, la fit réagir d’instinct ; elle se retourna pour le coller dos à la paroi de bois.
Elle se souvenait parfaitement de sa façon d’embrasser, de la presser contre lui ; et elle aurait bien cédé, puisque personne ne l’attendait nulle part.
Non, personne ne l’attendait, puisqu’Elvyr ne voudrait jamais d’elle…
Y penser fut pourtant suffisant pour qu’elle cesse de respirer une seconde. Un sentiment d’urgence finit de l’éloigner de l’elfe de la nuit ; Tempête, Tempête qui ne pouvait attendre, ce danger qui semblait planer au-dessus de lui.
-Dralion… Je ne peux pas rester…
-Mmh. Sûre ?...
Lillenta sourit, déposa un baiser sous l’angle de sa mâchoire et recula.
-Une autre fois.
Il fronça le nez une seconde ; la dernière fois qu’il l’avait vue, elle était encore considérée comme une adolescente par les leurs ; il ne lui connaissait pas ce nouveau charme, et mit un peu de temps à faire comme s’il s’en moquait. Il se contenta de soupirer quand sa belle s’évapora dans la forêt avec son familier. Ne resta derrière que son parfum fugace, qui disparut au premier souffle de vent.

Peu après avoir sifflé son sabre-tempête – qui décidément passait son temps à se sauver dans la nature dès lors que la kaldorei n’en avait pas besoin – Lillenta fila vers Rut’theran après être repassée par la capitale, où elle récupéra une lettre de Lanval. Elle la lut en diagonale, répondit brièvement et traversa l’arbre de transfert. Elle s’installa ensuite tout simplement à genoux dans l’herbe, non loin des quais de bateaux, et fixa son familier.
Elle ne s’en était jamais séparée bien longtemps. Quelquefois, il avait souffert d’une maladie mais en général, elle se débrouillait pour le soigner seul – ça arrivait d’ailleurs rarement ces temps-ci. Son maître lui avait fort bien appris à prendre soin d’un tel compagnon et à part une ou deux fois…
Elle plissa les yeux, prit sa tête en ses mains et fouilla sa mémoire. Pour préparer un remède, une fois, elle avait eu recours à un gobelin qui avait les stocks nécessaires à un composant rare. Elle était très jeune à l’époque. Le gobelin avait insisté pour lui acheter Tempête, elle se souvenait maintenant ; il voulait l’employer dans ses arènes stupides. Il avait fini par renoncer suite aux refus catégoriques de Lillenta, mais en bougonnant, et avait souhaité simplement voir la panthère deux fois par semaine un petit temps en échange du remède, « pour vérifier s’il fonctionne bien ».
Une autre fois, alors qu’elle découvrait Shattrath, Tempête s’était fait brutalement attaquer alors qu’elle était en train de parler avec un membre du Cercle Cénarien en mission ; elle avait requis les services d’un draeneï pour panser les plaies et vérifier qu’il se rétablirait bien.
D’autres exemples lui revinrent au fur et à mesure ; mais elle élimina la plupart des hypothèses, la plus crédible restant la première. A la pensée que ce gobelin avait pu toucher à sa panthère, la manipuler, le goût de la colère lui serra la gorge. S’il avait été devant elle, elle l’aurait égorgé.
Avoir affaire aux gobelins signifiait avoir besoin d’or. Par chance, sa bourse cachée pesait bien assez lourd pour lui permettre une enquête approfondie.


Terry transpirait. Il ne savait pas si c’était dû au soleil impitoyable de Strangleronce ou à l’interrogatoire serré que lui faisait subir la gobeline face à lui, mais il sentait sa chemise lui coller à la peau ; la seule fraîcheur était celle de deux lames cachées contre sa taille.
-Non, je ne suis pas propriétaire de la boutique, je la gère en attendant le retour de monsieur Fiolscie qui est actuellement en congés, déclara-t-il à voix basse pour la douzième fois.
-Il l’était déjà il y a six mois ! Ça lui arrive de revenir dans son commerce ? Je lui ai envoyé quatre courriers pour l’informer que je devais inventorier toutes ces cargaisons qu’il reçoit de nuit !
Terry retint de justesse un regard incrédule. Depuis quand envoyer des courriers à un truand le faisait se rendre ?
-Excusez-moi, mais des clients attendent derrière vous et je n’ai malheureusement pas les réponses que vous cherchez. J’espère pouvoir vous les fournir à votre prochaine visite.
Il adressa une courbette à la gobeline, qui grinça des dents mais n’eut d’autre choix que s’écarter.
Terry n’attirait pas le regard. Un humain à la peau bronzée, aux yeux et aux cheveux bruns, de taille et de corpulence moyenne, des traits banals et une voix sans timbre particulier. L’idéal, quand malgré tout cela il avait une intelligence certaine et des réflexes admirables…
Il cilla en avisant la cliente qui arrivait. Une elfe de la nuit aux cheveux blanc-argenté noués en une tresse lâche, qui l’évalua d’un coup d’œil.
-Salutations, je voudrais voir Fiolscie.
Terry se retint de lever les yeux au ciel.
-Il n’est pas là, navré. Si vous avez une demande spéciale, je suis tout à votre serv…
-Je veux voir Fiolscie et personne d’autre, répliqua calmement l’elfe.
-Mon patron est en congés. Je ne connais pas sa date de retour ni l’endroit où vous pourriez le joindre, vous m’en voyez profondément navré.
Il s’inclina ; à son grand soulagement, la kaldorei avait tourné les talons quand il releva la tête.

L’après-midi s’écoula assez tranquillement pour Terry ; quand le soleil se coucha, plongeant peu à peu Baie-du-Butin dans une pénombre tiède, il ferma à clé son étal en chantonnant à voix basse. Il avait ses comptes à faire, puis une bière à aller s’enfiler à la taverne la plus proche. Il attrapa une mallette et se dirigea vers une petite arrière-boutique.
Un bras solide l’attrapa sous la gorge. Il lâcha immédiatement ce qu’il tenait par réflexe, et attrapa rapidement ses deux dagues ; son coude fila en arrière pour taper dans l’estomac de son agresseur, mais les abdominaux qu’il rencontra étaient solides. Pas de chance. Son dos rencontra un buste aux formes indéniablement féminines et il releva brutalement les jambes pour tenter de se dégager ; à peine allait-il planter une dague dans le bras le tenant toujours que ce dernier disparut. Haletant, il roula sur lui-même et se redressa en position d’attaque. Il discerna une grande silhouette athlétique, au corps encadré de longues mèches claires ondulantes et jura. Passant sous une attaque frontale, il tenta un coup de pied retourné que son adversaire esquiva sans trop de problèmes.
Il recula avant de se prendre un coup et lança une dague, que l’elfe de la nuit évita en un salto arrière qui l’amena encore plus loin de lui, derrière l’arrière-boutique, un coin désert. Agacé, il prit brièvement son élan et y fila ; un coup brutal dans le ventre, assené à l’aide d’une hampe d’arc, lui coupa le souffle. Malgré tout, il se redressa et avec une rapidité impressionnante, pointa sa dernière lame pile sous la gorge de la kaldorei. La lune éclaira un visage qu’il aurait pris, en d’autres circonstances, plaisir à admirer.
Il fut soudainement arraché à son agresseur, catapulté à plusieurs mètres, sous une masse incroyable qui lui lacéra le flanc ; un rugissement lui explosa le tympan droit et il hurla en se retrouvant enseveli sous un félin énorme aux grands crocs dévoilés.
En hoquetant, il reprit son souffle lorsque celui-ci le relâcha ; l’elfe de la nuit le plaqua de nouveau au sol en se maintenant pile au-dessus de lui, un genou à terre. Il sentit ses joues regagner en couleurs. Elle lui adressa un regard qui évoquait un animal sauvage tout juste maîtrisé et il se retint de déglutir.
-Tu m’as menti.
Il secoua négativement la tête sans réfléchir et une lame piqua son cou à son tour.
-Je vais parler, lança-t-il d’une voix qu’il aurait voulue plus assurée.
-Sage résolution.
-Fiolscie est bien loin, et c’est son frère qui a repris la boutique.
L’elfe crispa les mâchoires et la lame se fit plus pressante sur le cou de l’humain.
-C’est la vérité ! s’énerva Terry. Vous allez faire quoi, avertir les autorités ?
-Il a mené une expérience contre ma volonté, il y a longtemps. Je veux le retrouver pour l’interroger, pas pour la justice.
Terry resta silencieux un moment.
-Il est dans la jungle profonde. Je ne sais pas où exactement. Son frère vit à Baie-du-Butin sous un faux nom. Juste dans la ruelle derrière l’auberge, le panneau de bois sur la droite…
-Est un faux et mène à une taverne illicite, oui, merci, je ne débarque pas.
Terry la regarda avec des yeux ronds, tandis que l’elfe se permettait un bref sourire ironique. Elle retira son couteau de chasse de sa gorge et se releva.
-N’agis pas contre moi et je n’agirai pas contre toi, l’informa-t-elle en pointant vers lui la hampe de son arc.
Terry hocha la tête ; il ne reprit vraiment sa respiration que quand elle disparut.


-Lillenta ! s’écria bien fort une gobeline derrière son comptoir. Ça faisait un moment, ma grande ! Quel bon vent t’amène ? Tu veux une chope ?
-Non merci, répondit poliment l’elfe de la nuit que les buveurs alentours détaillaient avec curiosité. Dis-moi, tu loues une chambre à un gobelin paraît-il. J’aimerais le voir.
-C’est que… lâcha la gobeline en perdant son sourire commerçant et en baissant la voix. Enfin, c’est un bon client, et…
-J’ai pas l’intention de le tuer. Je veux juste lui parler.
Lillenta esquissa un léger sourire et la gobeline consentit à lui indiquer des marches d’escalier, qu’elle emprunta en laissant Tempête veiller en bas ; personne n’alla embêter la panthère.
Au bout d’un couloir sombre au parfum d’embruns, elle trouva une porte de bois craquant, sur laquelle elle donna deux coups. Un gobelin lui ouvrit rapidement.
Elle apprécia l’être d’un coup d’œil. Grand pour sa race, l’œil intelligent mais pas sournois, l’air même sérieux, il fronça les sourcils en la dévisageant, puis la laissa entrer et referma derrière elle.
-Que voulez-vous ? demanda-t-il sans préambules.
-Des informations sur votre frère, répliqua Lillenta en s’asseyant sur une chaise.
-Qu’est-ce qu’a encore fait ce taré, soupira le gobelin.
-Mené une expérience sur mon familier il y a des années. Les conséquences…
-Amenez-le-moi. Plus vite j’aurai regardé, mieux ça vaudra.
Lillenta ne répliqua pas et ne posa pas de questions ; elle siffla brièvement et alla ouvrir la porte pour laisser passer son énorme panthère. Le gobelin émit un « mh » appréciateur et observa le familier de longues minutes, au point que Tempête commençait à montrer les crocs quand il annonça avoir fini.
-Bon, il s’agit juste d’une magnifique manipulation, souffla le gobelin en s’asseyant sur une chaise face à l’elfe, dossier devant lui. Magico-génétique. C’est étonnant que le potentiel instable de l’expérience n’ait pas déjà été révélé. Ça faisait un moment que j’avais plus vu de sujet aussi… Bref.
Lillenta gronda comme un chat sauvage.
-Du calme, répondit le gobelin de sa voix basse, un brin rocailleuse. Je suis pas mon frère, je suis à peu près aussi doué mais pas intéressé par les mêmes choses. Votre panthère, je peux pas inverser le processus. Je peux par contre l’arrêter. Net. Et il lui restera quelques mois à vivre. Ou tenter de stabiliser tout ça, mais c’est pas garanti.
-Prenez la seconde option, répondit immédiatement Lillenta.
Le gobelin laissa passer une seconde, effleurant machinalement un des multiples anneaux qu’il portait.
-Je croyais que vous, les elfes de la nuit, vous préférez toujours le natur…
-Eh bien considérez que je ne colle pas à vos idées toutes faites et on s’entendra. Combien ?
Un petit sourire joua sur les lèvres de son interlocuteur.
-J’commence à vous apprécier. Ça va chiffrer en pièces d’or, chérie, pas en pièces de bronze.
Il reprit un air sérieux, presque sombre, en prenant une série de notes sur un parchemin.
-C’est pas un processus fait pour garder en vie, vous savez. C’est dingue que votre animal ait survécu sans que la phase six ne se déclenche… J’en ai vu, des animaux agoniser, avec lui.
La gorge de la Chasseresse se serra.
-Je vais aller trouver ce salopard et venger ses saletés d’expériences, vous le savez, ça ? demanda-t-elle d’une voix presque calme.
-Ouais, répondit-il sur le même ton. Si ça vous chante. Rapportez-moi les affaires de cette espèce d’horreur qui me sert de frère, doit y avoir des trucs à revendre.
Pour le coup, la colère de Lillenta laissa un peu place à un brin de curiosité.
-C’est votre frère pourtant.
-Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Laissez-moi travailler. Je toucherai pas à votre familier, mais j’ai besoin qu’il reste sans essayer de me manger au passage.
Lillenta acquiesça simplement et ordonna d’un regard à Tempête de rester, et de se tenir tranquille ; la panthère roula des yeux et se coucha.
Elle ressortit de la chambrette, redescendit les escaliers ; deux hommes s’écartèrent de son chemin en voyant l’expression de son visage. Pourtant, elle maîtrisait sa colère, le temps de sortir de la ville tout du moins.
Elle courut dans Baie-du-Butin jusqu’à enfin en sortir, saluant tout juste les cogneurs gobelins qu’elle connaissait ; sifflant rapidement sa monture, elle grimpa dessus et la lança à toute vitesse vers la jungle profonde. Strangleronce était immense, mais elle en connaissait la plupart des recoins.
Traquer. Un gobelin comme celui-ci était forcément un grand consommateur d’eau, il y en avait besoin pour les expériences. Les sources les plus importantes lui étaient relativement familières, et elle écarta dans sa tête la moitié, celles dont elle savait qu’elles n’abritaient aucun laboratoire secret. A l’aube, elle avait déjà fouillé aux alentours de deux chutes d’eau ; elle descendit de son sabre-tempête à la troisième. La chaleur de la jungle recommençait à monter lentement ; un petit singe passa à toute vitesse devant elle. Elle dégaina son arc et avança lentement, scrutant devant elle.
Il lui fallut à peine quelques minutes pour apercevoir une lueur derrière un rideau d’eau. En silence, tous ses sens à l’affût, elle marcha dans sa direction, tendit la main à travers l’eau et attrapa le petit système d’alarme ; elle connaissait ce type d’engin, fait pour déclencher un cercle de flammes automatique et un bruit strident quand il repérait quelqu’un. Elle n’attendit pas que le mécanisme se mette en route et le plongea sous l’eau, noyant les rouages et étouffant les flammes naissantes. Un petit gadget coûteux. Elle rangea le débris dans une petite sacoche et passa sous le rideau d’eau.
Il y avait des cages, et des grondements s’en échappaient ; ce fut la première chose qu’elle vit, avant de discerner des meubles, d’entendre des sifflements.
Un petit être lui tournait le dos. Seul. Un gobelin. Le visage de Lillenta se ferma quand elle le vit attraper une fiole et forcer un rongeur à avaler le contenu.
Tant pis s’il portait un charme ou une protection arcanique ; elle attrapa lentement, en silence, une flèche spéciale dans son carquois. L’elfe de la nuit l’ajusta sur sa corde et étira celle-ci, déployant l’effort progressivement, visant avec un soin parfait. Il allait mourir.
Alors qu’elle allait relâcher sa corde et tuer le gobelin, elle perçut la seule chose qui pouvait la faire s’arrêter : une menace immédiate.
Elle tourna la tête vers la source de ladite menace, sur le qui-vive ; une flèche rapide était posée sur la corde d’un arc, dans sa direction.
Quand Lillenta vit le visage résolu de l’être qui le tenait, ses yeux s’agrandirent de stupeur.
Darkena.
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MessageSujet: Re: Liens mêlés   Liens mêlés EmptyMer 3 Déc - 16:09

Darkena - Course contre la montre


La lumière du matin découpa lentement les ombres dans la pièce, faisant peu à peu pâlir l’éclat d’un feu mourant dans un coin. Mis à part le craquement des dernières branches dans l’âtre, le seul bruit était celui de la respiration laborieuse d’un enfant.
-Pratreï ?
-Je suis là, répondit la voix blanche de la draeneï.
L’anachorète passa un linge frais sur le front du petit garçon allongé sur un lit, un geste qu’elle semblait exécuter pour la millième fois.
-J’ai mal.
Un sanglot coupa la parole au petit, et la jeune femme caressa ses cheveux noirs, désemparée.
-Je sais, Strenaar. Tu as soif ?
-Un peu.
Pratreï le redressa doucement, pour lui faire absorber deux gorgées qui passèrent difficilement dans la gorge de l’enfant. Strenaar se rallongea ensuite aussi sec, les yeux mi-clos, le front couvert de sueur, et la draeneï resta agenouillée à son chevet sans parler.
A quelques mètres de là, dans un coin de la pièce, une silhouette restait debout, immobile. Dans l’ombre, on pouvait à peine distinguer la courbure d’un arc sin’dorei dans son dos et ses jambes gainées de cuir et de métal. A côté d’elle, un grand loup dormait.
Son visage était impassible, comme figé. Darkena se sentait impuissante. Elle estimait Pratreï et voir un enfant souffrir ne lui plaisait pas. Des sacoches enchantées étaient accrochées à ses hanches, des gadgets divers brillaient ou pulsaient attachés à sa tenue, des flèches étranges attendaient dans son carquois et elle ne pouvait rien pour Strenaar.
Elle était consciente des changements profonds opérés en elle. Passer de la vie à la mort, avoir lié définitivement son existence avec l’homme qu’elle aimait avaient libéré quelque chose en elle. Elle se souvenait de la sin’dorei effacée et sensible qu’elle avait été et ne la reniait pas. C’était simplement une part d’elle que bien peu pouvaient percevoir, à présent. Et ça lui allait très bien.
Pourtant, avoir trouvé en quelque sorte sa place sur cette terre ne lui suffisait pas quand elle regardait le petit peiner à respirer. Un enfant… La seule chose qui lui manquait. Elle pouvait maintenir son corps dans un état correct, embrasser Orionax et gagner de l’or, mais ne pourrait plus jamais rêver de porter l’enfant de son compagnon. Et tant de choses semblaient dérisoires à côté. La souffrance de Pratreï et Strenaar ne l’était pas.
Meshael était parti la veille après avoir tendrement embrassé l’anachorète, en quête d’une personne qui saurait soigner son fils adoptif. Une bagarre près d’une taverne et un assassin qui avait mal visé pour lancer un couteau enduit d’un venin inconnu, voilà ce qui avait empoisonné l’enfant. Darkena avait mis environ vingt minutes à retrouver le coupable. Meshael n’avait pas pris de gants pour interroger l’homme. Un interrogatoire musclé et quasiment inutile, puisque celui-ci ignorait s’il existait un antidote. Il avait acheté ce poison à un gobelin, voilà tout ce qu’il savait.
Darkena repensa à la scène. L’assassin était plaqué contre le mur d’un bâtiment, à demi mort de peur face à Meshael qui lui était fou de rage. Le draeneï avait réfréné sa colère et sa peur pour Strenaar, de justesse. Et avait conseillé à l’assassin bagarreur de retourner sur Azeroth s’il ne voulait pas brusquement lier connaissance avec le sol.
Un gobelin… Il pouvait avoir acheté ce venin à n’importe qui. Pratreï et d’autres avaient tenté de le purger à l’aide de la Lumière, sans grand succès. C’était forcément plus qu’un simple poison végétal ou animal. Darkena avait bien pensé à aller voir un ou deux fournisseurs, mais ceux qu’elle avait déjà vus avaient simplement répondu que sans pouvoir examiner directement le poison ou quelques gouttes d’un antidote, ils ne pouvaient rien faire. La traqueuse était revenue contempler l’agonie de l’enfant.
Un coup de vent lui fit tourner la tête : Meshael rentrait, le visage encore plus fermé que d’ordinaire, les épaules courbées. Lui qui se tenait toujours si droit avait la tête basse. Pratreï le regarda avec angoisse.
-Je suis désolé, murmura le guerrier. J’ai cherché partout. J’ai eu les mêmes réponses que Darkena. Il faudrait tenir celui qui a fabriqué cela… Et l’homme était incapable d’être précis…
Sa voix se brisa. Pratreï prit sa main et la serra doucement avec tendresse. La morte-vivante, dans son coin, ne regardait pas la scène ; elle réfléchissait à toute vitesse.
-Bon, au point où on en est, déclara-t-elle soudain, je retourne sur Azeroth.
-Oh… Je comprends, chuchota Pratreï d’une voix lasse.
-Je vais traquer le type qui aurait fabriqué ça. Et tant pis si je ne suis pas payée pour. Ça me fera des vacances entre deux contrats. Je connais un ou deux types à Baie-du-Butin. Je vais leur faire cracher toute leur vie jusqu’à leur conception.
L’anachorète la regarda avec des yeux ronds tandis que le loup se levait et secouait sa fourrure claire.
-Pourquoi décides-tu ça maintenant ? interrogea Meshael un peu brusquement.
Elle décidait ça maintenant parce qu’il était revenu les mains vides, que c’était la seule idée qui lui était venue et qu’elle s’en voudrait de ne pas l’appliquer. Elle ne le lui expliqua pas.
-Je pars. Pratreï, embrasse ton grognon pour moi.
L’elfe sortit en quelques enjambées du logis, bientôt suivie par son familier, attrapant un sac au passage qui l’attendait dans l’entrée. Tout en marchant vivement pour aller acheter les services d’un Mage histoire de revenir sur Azeroth, elle réfléchissait rapidement.
Pourquoi avait-elle l’impression que beaucoup de choses tournaient autour des gobelins ces temps-ci ? Son cerveau tournait à plein régime, remontant le cours du temps, analysant ses conversations. Elle revint au soir où Lillenta les avait rejoints. Voilà, c’était là.
« -Sinon, Lillenta, tu t’es aperçue que ton familier allait mourir ? »
La Chasseresse avait clairement pensé à une manipulation magique. Ou génétique. Ou les deux. Amusant. Peut-être qu’elle la recroiserait.
Darkena paya le Mage aimable qui forma pour elle un portail vers la Strangleronce et s’enfonça dans l’ouverture arcanique avec son familier.

Terry sommeillait. L’après-midi touchait à sa fin, et il n’avait eu que peu de clients dans la journée. Il en profitait pour « se remettre » de l’agression de l’autre cinglée d’elfe de la nuit, c'est-à-dire effectuait des siestes prolongées dès qu’il le pouvait. Une juste compensation des risques du métier. Il tressaillait dès qu’il voyait un félin, maintenant.
Quand le soleil commença à se coucher derrière la ligne de l’horizon, il se redressa en bâillant et commença à ranger ses étalages. A peine terminait-il qu’il vit sur le sol une ombre approcher. Il se retourna en une fraction de seconde et ses yeux s’écarquillèrent malgré lui.
-Qu’est-ce que c’est que ça, marmonna-t-il.
C’était une femme, de toute évidence. La silhouette était grande, mince, la démarche à la fois sèche et ondulante. Il se sentit immédiatement mal à l’aise. La peau doucement fanée, sentant les feuilles mortes, dénonçait une morte-vivante. Et pourtant, sa tunique bardée d’outils étranges était largement décolletée sur sa poitrine et elle arborait un joyeux sourire un rien froid et taquin. Elle semblait… se fiche complètement de la décence, du fait qu’une morte-vivant normalement n’assumait pas franchement une attitude séductrice. Il eut la chair de poule avant même qu’elle ne se penche vers lui. Elle releva des lunettes qui vrombissaient bizarrement, dévoilant deux yeux attentifs. Rouge sang, comme en écho aux points rubis de ses longs cheveux blonds.
-Salut, c’est toi Terry ?
-C’est moi, lâcha l’homme sur ses gardes.
-Aaah ben parfait, j’avais pas plus le temps de jouer à cache-cache.
L’elfe morte-vivante sauta sur le comptoir vide, s’installa en tailleur et lui fit un grand sourire. Il baissa les yeux une seconde sur la vue imprenable qu’il avait avant de déglutir face au visage féminin.
-Je cherche Fiolscie, ou le premier qui aura ses compétences. Et ce serait gentil de pas tenter de me rouler, j’ai justement une nouvelle flèche à tester et un mécanisme pouvant exploser une personne à distance qui me démange.
Elle avait dit ça d’une voix presque joyeuse, calme, de sorte qu’il mit deux secondes à comprendre.
-Il n’est pas là, grogna Terry. Qu’est-ce que vous avez toutes en ce moment à me menacer à son sujet, sérieusement, et je suis à votre disposition pour t…
Les jambes de la morte-vivante se tendirent d’un coup, et il se prit ses pieds dans le torse brutalement, s’écrasant contre la porte de l’arrière-boutique, le souffle coupé. Tout sourire avait disparu du visage de la sin’dorei, sans qu’elle ne se départisse de son calme froid.
-Qui est-ce qui est déjà venu te voir ? interrogea-t-elle en fronçant ses longs sourcils.
Terry maudit un demi-million de fois sa langue qui avait fonctionné trop vite.
-Ça ne vous regarde pas. Continuez et j’appelle les Cogneurs.
La femme se laissa tomber de son côté, ouvrit tranquillement la porte derrière lui et le projeta à l’intérieur d’un coup ; elle entra à sa suite et martela son torse de coups de pied retourné sans lui laisser un instant de répit, puis attrapa son arc et lança deux flèches qui le clouèrent à une paroi.
-Comment tu veux mourir ? demanda tranquillement la sin’dorei.
Elle avait son arc à la main, une bombe clairement identifiable dans l’autre, et ouvrit d’un coup de coude un dispositif à sa ceinture qui se mit à vrombir. Terry blêmit.
-Eh oh, on peut peut-être discuter ? dit-il d’une voix faible.
Quand elle s’approcha, il tenta de la frapper, et réussit à moitié ; elle écarta son avant-bras de la hampe de son arc et frappa son visage du revers.
-Une elfe de la nuit, grogna-t-il en crachant du sang. Elle le cherchait aussi. Je lui ai indiqué où était son frangin…
-Décris-la-moi, ordonna l’autre, l’air soudain inquiète.
-Ben, grande, avec des cheveux blancs. Sa saloperie de panthère géante m’a sauté dessus.
Un chapelet d’injures thalassiennes se fit entendre.
-Où est ton patron ? lança-t-elle brusquement.
-Dans la jungle profonde. J’en sais pas plus, se dépêcha-t-il de préciser.
L’elfe de sang réanimée le contempla longtemps, au point qu’il se demanda s’il devait cesser de respirer. Finalement, elle lança une pièce d’argent à ses pieds.
-Prend ça en dédommagement pour elle et pour moi.
Elle le délivra rapidement, rengainant ses flèches dans son carquois. Elle lui adressa enfin un délicieux sourire qui lui fit passer un frisson désagréable dans le dos. Il préférait encore quand c’était la kaldorei qui lui avait sauté littéralement dessus.
Quand elle partit, il resta là un instant à reprendre son souffle ; égratigné, contusionné, il attrapa un parchemin et une plume sur un petit bureau et rédigea une lettre de démission en bonne et due forme. Il irait réaliser son vieux rêve de s’engager dans le SI:7 ou l’armée, n’importe, du moment qu’il n’y avait plus de tarées pour faire un concours à celle qui lui flanquerait la plus grande frousse possible.

La jungle était étouffante. Darkena avait grincé des dents en s’apercevant rapidement que Lillenta laissait très peu de traces derrière elle, mais c’était prévisible ; la nature sauvage était son domaine de prédilection, après tout.
Si elle-même ne souffrait pas de la chaleur excessive, il n’en allait pas de même pour son loup, qui tirait une langue longue comme son avant-bras. Elle se sentait un peu triste en le regardant, à présent. Les liens entre eux se distendaient légèrement, progressivement, depuis sa mort. Mais elle n’était pas prête à le laisser repartir dans son milieu naturel.
-Bon, voyons si une kaldorei peut me résister, marmonna-t-elle adossée à un arbre.
Elle était affreusement consciente du temps qui passait. Si comme elle le soupçonnait Lillenta avait filé voir le gobelin pour Tempête, il y avait une petite chance pour qu’il soit encore vivant, si elle avait besoin de lui. Sinon… l’elfe de la nuit ne le laisserait pas vivre.
Condamner ce gobelin revenait quasiment à condamner Strenaar, puisqu’il était le seul qu’elle connaissait à pouvoir quelque chose contre ce poison.
Traquer. Quelque chose d’instinctif et qui pourtant lui avait demandé de l’expérience. Pour le flair, elle faisait confiance à son loup ; pour le reste, avec ses lunettes améliorées ou non, elle repérait très vite la moindre trace de pas, de magie, progressait rapidement. Quelque chose sur son épaule pulsait à peine, repérant les fréquences cardiaques proches, des gemmes complexes scintillaient faiblement, prêtes à détecter tout point accordé aux fréquences telluriques – et par le Puits de Soleil, qu’est-ce que ça avait pu lui coûter cher, ça – et d’autres outils encore lui délivraient sans interruption des informations. Elle les analysait toutes avec une rapidité affolante, employant ses vieilles ressources pour se fondre un peu dans son environnement.
Elle aurait repéré la trace de Tempête s’il avait accompagné Lillenta, mais ce n’était pas le cas. Sa gorge se serra. S’il ne l’avait pas accompagnée, c’est qu’elle était venue là pour une vengeance et non une guérison. Elle repérait assez facilement, de plus en plus, les traces de son sabre-tempête en revanche ; Lillenta n’avait pas cherché à se cacher réellement. Elle voulait faire vite.
Darkena s’immobilisa brutalement près d’une source, repérant un grand félin aux crocs acérés. Elle le perçut avant de le voir ; le sabre-tempête bâilla, la fixant de ses yeux très bleus.
Elle jura de nouveau en articulant silencieusement. Elle était déjà entrée. Trop rapide, cette petite.
Sans plus chercher, elle fonça sous le rideau d’eau – les dispositifs d’alarme semblaient absents ou désactivés – et la vit, à quelques pas. Elle se glaça.
Lillenta était bien là, dans une position parfaite pour tirer. Ses longs cheveux argentés dégoulinaient dans son dos, et son visage résolu ne laissait pas le moindre espoir au gobelin qu’elle visait. Ses doigts habiles tirèrent progressivement en arrière une flèche puissante.
Darkena n’hésita pas, même une fraction de seconde. Lillenta respectait les règles du monde sauvage et, en tant que chasseresse, elle pouvait la comprendre. Et parfois, quand un prédateur s’apprête à dévorer une proie, la seule chose au monde à pouvoir l’arrêter est la menace directe d’un autre prédateur sur lui-même.
La sin’dorei arma son arc et visa la kaldorei, le visage froid. Elle était réellement prête à tirer dessus et, par miracle, Lillenta le ressentit. Ses yeux s’arrondirent de stupeur. Au bout de quelques terribles secondes, elles abaissèrent toutes leurs armes dans le plus parfait silence ; Darkena désigna très lentement une des petites besaces de l’archère. Lillenta fronça les sourcils, mais choisit de lui faire confiance. Elle arma un piège d’une gemme de glace et le posa, puis recula de deux pas ; l’elfe réanimée hocha la tête et lança vers le fond de la caverne plus ou moins naturelle deux bombes et un capteur dans un geste d’habituée.
Un hurlement se fit entendre, suivi d’un faible éboulement ; le gobelin jaillit, se prit les pieds dans le piège et fut congelé en l’espace d’une seconde. Son expression arracha un mince sourire aux deux femmes.
-On peut dire qu’il n’est pas resté de glace.
-La nostalgie du Norfendre, c’est terrible.
-Surtout en Strangleronce.
-Tu crois qu’il faut briser la glace et faire les présentations ?
-Rien que l’idée me glace le sang.
Elles rengainèrent leurs armes.
-Le fils adoptif de Pratreï et Meshael…
-Quoi ? l’interrompit Lillenta.
-Sors de ta jungle, parfois, la taquina son amie. Je disais donc que le petit est gravement empoisonné. J’avais entendu parler de Fiolscie. Je pense qu’il pourrait aider. De toute façon, personne jusqu’à maintenant ne s’est montré compétent.
-Tu crois que Pratreï accepterait qu’un gobelin s’en occupe ? Peut-être que Lunev…
-Lil, en ce moment, là maintenant, il y a un enfant entre la vie et la mort.
L’elfe de la nuit pinça les lèvres et acquiesça sans discuter. Le loup de Darkena s’approcha pour renifler la glace, qui commençait à fondre. La tête du gobelin finit par émerger de la glace. A peine eut-il ouvert la bouche pour hurler quelque chose qu’un couteau de chasse ornementé et bien acéré se posa sous sa gorge.
-A votre place, confia Darkena, je ne dirais rien, je ne pourrai peut-être pas vous sauver une seconde fois. Vous savez comment sont les elfes de la nuit, sauvages et mystérieux…
-N’est-ce pas, gronda la voix basse de la kaldorei. A vrai dire, ce serait tellement bête que mon couteau dérape et tranche la gorge de ce barbare.
Sa voix laissait clairement entendre qu’elle en mourait d’envie. Le gobelin devait avoir un minimum d’intelligence, ou d’instinct de survie, parce qu’il se tût.
-Vous allez venir avec nous à Shattrath, déclara Darkena. Si vous tentez la moindre chose pour vous enfuir, je vous tue. Ou elle. Vous avez une préférence ?
-Darkena, soupira Lillenta. On dirait Lanval !
-Il va bien lui au fait ?
-Il est parti à la pêche aux contacts, traîné par Lædera telle la réputation d’un Chevalier de la Mort derrière lui. L’analogie est de lui.
Darkena gloussa, alors que Lillenta ne parvint pas à sourire ; elle chassa de son mieux l’image d’un demi-elfe qui la contemplait derrière un masque sombre…
-Vous avez fini votre réunion de famille oui ? glapit le gobelin. Vous avez détruit la moitié de mon laboratoire et je vais porter plainte et croyez-moi je vous ferai cracher tout votre or ! Vous avez osé vous attaquer à un grand scientifique dont le génie n’a d’égal que…
Un grand coup de hampe d’arc frappa son crâne. Lillenta n’y était pas allée de main morte et il était sûrement évanoui pour un bout de temps.
-Ton loup pourra porter un gobelin aux pieds congelés ?
-Oui. Dépêchons-nous. Je n’ai aucune confiance en ce type-là. Coupable pour Tempête ?
Lillenta acquiesça et se mit à courir en sens inverse ; Darkena ne comprit qu’en voyant cinq minutes après une dizaine d’animaux sortir de la caverne éventrée. Evidemment, elle avait libéré les sujets d’expérience aperçus. Elles partirent tout de suite après.
-Tu as entendu parler des agitations du côté d’Orgrimmar ? Plusieurs de mes contacts ont disparu…
-Oui. Orionax et moi n’aimons pas beaucoup tout cela. Mais les elfes de sang ne resteront pas inactifs si notre… chef de guerre se met trop de monde à dos, lâcha fièrement Darkena.
-Je vois. On fait un crochet par Baie-du-Butin ? Le frère de cet énergumène garde Tempête. Il semble plus sympathique mais aussi doué que lui.
-Ah ? On aurait pu l’emmener en Outreterre alors.
-Tu ne pouvais pas savoir, murmura Lillenta, pensive.
-Toi, tu penses encore à…
-A rien du tout.
-Pas avec moi, Lil ! Tu en as honte ? Je sais que ton peuple…
-La culture kaldorei est une partie de moi, coupa la chasseresse en braquant sur elle son regard lumineux. Elle ne me définit pas. Je garde mes soi-disant travers et goûts étranges pour moi et tout va pour le mieux quand je vais à Darnassus.
-C’est une façon de faire, admit la traqueuse.
La kaldorei attrape entre deux doigts un symbole d’Elune qui ornait son vêtement de chasse. Ses pensées volèrent vers son meilleur ami, priant pour que lui et Lædera mènent à bien leur quête, quelle qu’elle soit… Et elle pensait en avoir une idée. Son cœur se serra en y songeant, alors qu’un frisson parcourait sa colonne vertébrale.
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MessageSujet: Re: Liens mêlés   Liens mêlés EmptyVen 26 Déc - 2:37

Lanval - Confiance

« Lanval,

Au moment où je t’écris cette seconde lettre, je suis au chevet du fils adoptif de Pratreï et Meshael, un des frères de Dominici. C’est un gobelin qui l’a guéri d’un empoisonnement grave, et le même gobelin est coupable d’avoir opéré une manipulation magico-génétique sur Tempête. Il est toujours en vie, mais je pense qu’il est conscient d’à quel point il a frôlé la mort. Mon familier est avec moi, puisque le frère de ce salopard l’a soigné. Ce dernier a exigé un prix exorbitant, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Il est normalement stabilisé. Tempête a encore de longues décennies devant lui et moi, j’ai un contact supplémentaire. Je n’ai pas encore pu obtenir son vrai nom, d’ailleurs.
Je vais partir pour Seradane. Le corps de ma mère est sans doute encore avec les dragons. Les elfes de la nuit n’abandonnent pas leurs morts. Je veux que son corps soit purifié et que nous puissions célébrer les rites funéraires qu’elle mérite.
Je t’écris surtout pour te prévenir des dernières nouvelles que j’ai eues. Veraña Sang-de-Loup n’est plus à Hurlevent, elle est en Kalimdor. Il me semble que son camp est situé près des ruines de Theramore. Surtout, ne te fie pas à son nom. Veraña n’est pas une worgen, même si elle a l’habitude de ta race.
Soyez prudents, l’un et l’autre. Mes pensées vont à vous.
Je t’embrasse.

Lil »


Lanval froissa la lettre dans son poing et resta pensif plusieurs minutes. Sa sœur en esprit devait vraiment s’être retenue de justesse pour ne pas arracher la tête du gobelin qui avait pu toucher à sa panthère. Finalement, il secoua la tête et se tourna vers la jeune femme qui attendait à quelques pas.
-C’était une lettre de Lillenta, annonça-t-il.
-Que disait-elle ?
-Le contact qu’elle m’a fourni a bougé, il va falloir pousser jusqu’à Theramore.
Il lui tendit la lettre, que Lædera défroissa pour lire rapidement. Elle soupira, hocha la tête et ramena ses ondulations brunes en arrière pour dégager son visage.
-Je vois. Bon, alors on file, on devrait pouvoir demander un portail à un Mage à temps si on se dépêche.
La démoniste joignit le geste à la parole et commença à incanter sa monture sans attendre de réponse de la part de son compagnon, qui préféra se transformer. Rapidement, son dos s’arqua, des griffes remplacèrent ses doigts et de la fourrure recouvrit le corps harnaché de cuir.
-Tu es sûre de préférer cette bestiole démoniaque à ton loup ? demanda-t-il d’une voix plus caverneuse.
-Elle reste plus docile, se moqua Lædera en se mettant en selle.
-Je me demande ce que Lil a sous-entendu dans sa lettre en disant qu’elle connaît ma race, fit-il remarquer en commençant à courir à ses côtés.
-Va savoir. Elle fait partie de l’armée, c’est ça ?
-Oui. Je ne vois pas comment une nana affiliée de si près à l’Alliance peut nous aider à avoir des contacts dans la Horde, mais on verra bien.
Lædera acquiesça et talonna sa monture ; ils parvinrent à la ville la plus proche en moins de deux heures. Quand Lanval se redressa, il se retransforma, histoire de ne pas tirer une langue de six pieds de long après sa longue course.
-Je me charge de demander le portail, déjà qu’on va se demander ce qu’on peut bien aller faire du côté de Theramore.
-Fais vite, répondit simplement Lædera en renvoyant son cheval démoniaque.
Lanval ajusta son col de cuir, passa une main dans ses cheveux et se dirigea vers une petite tour de mages aisément repérable. A l’intérieur, un homme l’arrêta immédiatement pour lui demander ce qu’il cherchait. Quand le worgen lui expliqua calmement sa requête, il soupira et pointa du doigt une porte, que Lanval poussa. Une jeune femme travaillait dans la salle, et reposa ses parchemins pour le détailler.
-Bonsoir, salua Lanval d’une voix grave et douce, ce serait pour vous demander un… service.
-Qui êtes-vous ? demanda la mage, troublée.
-Lanval Grisétoile, à votre service.
Le worgen s’inclina en une révérence exagérée et lui servit un sourire en coin en se redressant.
-Je… Et que puis-je pour vous ?
-Un portail pour les environs de Theramore.
-Theramore, répéta la mage, le front plissé d’inquiétude. L’endroit est…
-Dévasté, je le sais. Mais je souhaiterais y rejoindre l’armée pour aider, justement.
-C’est tout à votre honneur, mais vraiment, je ne sais pas si je…
-Allons. Vous pouvez me faire confiance, murmura Lanval en fouillant son regard du sien.
Quand la jeune femme détourna les yeux, elle vit les quelques pièces qu’il posait sur son bureau.
-Est-ce que le prix est correct ? s’enquit-il courtoisement.
La femme inspira à fond avant de commencer son invocation ; Lanval étira un franc sourire et sortit une seconde le temps de faire signe à Lædera de venir. Ils traversèrent rapidement le portail.
-Tu lui as fait quoi, à celle-là ? demanda la démoniste d’un ton moqueur quand ils arrivèrent à destination.
-Je lui ai promis de lui tenir compagnie quelques nuits, bien sûr, ricana son compagnon avant de retrouver son sérieux. Oh, par Grisetête…
Ils avaient été téléportés juste à côté de Theramore, et voyaient très bien de là où ils étaient ce qui était advenu de la ville.
Les bords du cratère, noircis, laissaient parfois échapper des volutes de fumée. Le ciel était gris sombre, annonciateur d’une pluie imminente ; l’ambiance était lourde, et les paysages alentours étaient désolés. Lanval pouvait deviner la mer malgré les gouttes qui commençaient à tomber et la brume qui la couvrait ; quand il lui sembla entendre les pleurs de ceux qui avaient perdu les leurs et leur ville ici même, il détourna la tête.
Une main fine se glissa dans la sienne, dénouant ses doigts pour y entremêler les siens. Lædera indiqua du menton un campement derrière eux ; son amant inspira à fond, contempla ses yeux bleus avant de se mettre à marcher. Sans mot dire, il enleva sa veste sombre et l’étendit au-dessus d’elle. Bientôt, il put deviner le motif d’une tête de lion sur un étendard planté près des tentes. Lillenta avait raison.
-Halte ! cria un soldat en posant la main sur la poignée de son arme. Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
-Lanval Grisétoile accompagné de sa femme.
Les sourcils de Lædera se haussèrent, puis elle sembla réprimer un rire. Il lui servit un sourire en coin et adressa un salut réglementaire de l’armée à l’homme.
-On voudrait bien s’abriter. Nous cherchons une certaine… Veraña Sang-de-Loup.
-Que me voudriez-vous ? interrogea une voix de femme.
Lanval tourna la tête vers sa droite. Une gradée le regardait calmement. Elle était plutôt petite, et il devinait une allure très féminine malgré l’armure solide qu’elle portait. Ses cheveux bruns coupés assez courts ondulaient, sans cacher ses yeux verts soulignés de noir.
-Ce serait pour lui parler de quelque chose d’assez personnel, dit le worgen d’une voix chaude.
La femme arqua un sourcil. Visiblement, le charme de Lanval ne lui faisait ni chaud ni froid. Lædera sourit à son tour en coin, tandis que son compagnon soupirait théâtralement. Finalement, le petit bout de femme leur fit signe de la suivre sous la plus grande tente. Elle y retira les grandes épaulières de métal doré qu’elle portait et s’assit derrière un bureau de bois simple. La démoniste face à elle évalua avec intérêt le poids de l’armure qui semblait totalement disproportionné pour cette Veraña.
-J’ai entendu parler de vous par une amie, Lillenta.
-Ah… C’est elle qui vous envoie. Elle doit vous accorder une grande confiance pour avoir donné ma position.
Le front de Veraña se plissa de contrariété avant qu’elle ne retrouve une expression lisse.
-Je m’appelle Lanval, voici Lædera, ma compagne. Nous sommes à la recherche de quelqu’un et il paraît que vous pouvez nous aider.
-Il a déjà été sous mon commandement ?
-Non, intervint franchement la jolie brune. Il s’agit de mon frère, un Chevalier de la Mort affilié à la Horde de par son ascendance à demi haute-elfe.
Le visage de Veraña se ferma cette fois et sa mâchoire fine se crispa.
-Vous sous-entendez que j’ai le moindre lien avec la Horde ? lâcha-t-elle d’une voix glaciale.
-Il a disparu et la dernière chose que nous savons de lui, c’est qu’il a eu des contacts avec les Réprouvés et pas des plus brillants, répliqua Lanval. On ignore ce qu’il en est advenu. Mais il m’a quasiment sauvé la vie plusieurs fois et je ne suis pas le seul.
-Vous vous attendez à ce que je vous serve sur un plateau un nom d’agent double qui saurait ce qui est advenu d’un tel phénomène par miracle ? lança Veraña en se levant.
-Je veux juste retrouver mon frère, dit Lædera en la regardant droit dans les yeux.
La femme exhala un soupir à demi agacé et jeta un coup d’œil à la fermeture de sa tente.
-Ecoutez-moi bien, jeune fille, je pourrais faire rechercher Lillenta sous n’importe quel prétexte et la condamner lourdement histoire qu’elle ne divulgue plus de pareilles informations, murmura la gradée en les regardant avec gravité.
-Ne vous avisez pas de la toucher, lâcha Lanval avec un grondement animal. Vous n’avez pas d’autorité pour ça.
-Je risque mon rang et jusqu’à ma vie si je vous réponds.
-Nous vous faisons bien confiance en vous parlant, faites-en autant, lança Lædera.
Veraña inspira à fond, à plusieurs reprises. Ne se dégageait d’elle aucune autorité naturelle. Pas de charisme de commandante, d’influence de femme née pour ordonner. Son charme était tout féminin, en douceur, et ce en dépit d’un regard franc et décidé. Un observateur attentif pouvait deviner que tout chez elle – sa posture, la couleur de sa voix – était travaillé pour pouvoir lui donner cette autorité qui lui manquait naturellement. C’était à la force de l’entraînement et de l’expérience qu’elle gagnait l’étoffe d’une commandante.
-Vous savez peut-être que la situation entre l’Alliance et la Horde se tend de jour en jour, et que du côté de la Horde elle-même, ce n’est pas vraiment plus brillant. C’est pour ça que je suis là et je cherche plus à comprendre exactement ce qui se passe qu’à trouver comment tuer des orcs.
-Donc vous avez des contacts ?
-Je peux vous aider à trouver des Sombrelance qui se préparent à faire face aux problèmes qui surgissent actuellement. Ils ont étendu leurs ramifications jusque dans la Main Brisée, de ce que j’en sais. Les idées circulent vite. Si vous voulez éviter qu’on vous tue à vue…
Le regard de Veraña se perdit dans le vide quelques instants ; elle pinça les lèvres tandis que ses pommettes gagnaient un peu en couleur, ce qui fit se hausser les sourcils de Lanval.
-Je vais demander un griffon pour vous. Il repartira sitôt arrivé ; vous devrez suivre la direction du sud-est jusqu’à trouver un chemin. Suivez-le jusqu’à tomber sur la première hutte rouge de troll, à l’écart du village le plus proche. Soyez très prudents.
Tout en parlant, Veraña traçait quelques lignes sur un parchemin. Ses paroles étaient prononcées à voix si basse que même Lanval devait se concentrer pour tout saisir. Lædera attrapa ensuite le parchemin roulé avec précaution et le rangea dans une poche intérieure.
-Dites-moi, pourquoi vous appelez-vous Sang-de-Loup ? demanda-t-elle.
Veraña cilla face à la franchise de la question, puis ébaucha une ombre de sourire.
-J’ai eu une période dans l’armée où mon supérieur avait estimé judicieux de me placer dans une unité uniquement composée de worgen. C’était un surnom peu flatteur au début. Ça m’est resté et peu m’importe au final.
Son regard s’était brièvement posé sur Lanval ; ce dernier avait maintenant la certitude qu’elle savait qu’il n’était plus humain. Il se releva, et suivit la femme qui ordonna qu’on leur selle un griffon.
-Merci beaucoup, lança-t-il alors que sa petite amie le tirait déjà par la manche pour se mettre en place sur l’animal qui secouait la tête.
Quelques instants plus tard, ils s’envolaient. Veraña retourna dans sa tente et se laissa tomber sur son siège ; elle posa les coudes sur la table et se prit la tête entre les mains.
-Par la Lumière, pourvu que Reg comprenne et ne m’en veuille pas… Sinon, ils sont en danger, et moi… je suis fichue.
Un petit rire triste s’échappa de sa gorge. Elle rejeta une boucle noire en arrière et redressa les épaules, avant d’aller affronter la pluie battante.
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